Romandie
lausannoise
suivait avec attention les promenades de Dickens. Les réceptions, les dîners
chez les Britanniques résidant à Montolivet, au Servan, à la Rasude, à Cour ou
à Ouchy, étaient régulièrement commentés par les habitués de ces maisons, pour
ceux qui n’avaient pas eu le privilège d’être invités. Chez les Haldimand, les
Cerjat, les Watson ou les Holmes, l’écrivain avait, en effet, rencontré des
personnalités locales, le célèbre oculiste Frédéric Recordon, le botaniste Jean
Muret, le docteur Auguste Verdeil, médecin des prisons, le théologien André
Gindroz et l’historien Louis Vulliemin, qui publiait un journal bimensuel
relatant des événements vieux de trois siècles !
On sut ainsi que Charles Dickens, empruntant l’itinéraire de
son illustre compatriote mort pour la Grèce à Missolonghi, avait visité le
cachot de Bonivard, au château de Chillon, et déchiffré, sur le pilier de l’enchaîné,
la signature gravée par Byron en 1816. Au dire de ceux qui avaient accompagné
Dickens dans ce pèlerinage, l’émotion manifestée par le visiteur relevait plus
du souvenir du poète anglais que du martyre du patriote genevois !
Le 10 août 1846, Axel Métaz eut la chance, partagée par
d’autres Vaudois, de rencontrer le créateur d’ Oliver Twist lors de la
fête donnée à Montbenon, en l’honneur de la nouvelle Constitution vaudoise, promulguée
un an plus tôt. Dickens, que conduisait un membre éminent du parti conservateur,
réfractaire à la révolution dont on célébrait les effets, ne fit qu’une brève
apparition et refusa de participer au dîner officiel. Et cela bien que les radicaux
eussent sa sympathie. N’avait-il pas, dès son arrivée à Lausanne, écrit à son
ami Forster : « Au fond, ce que les Vaudois appellent une révolution
n’est autre qu’un changement de gouvernement. Trente-six mille hommes [187] dans ce petit canton pétitionnaient contre les jésuites, Dieu sait avec quelles
bonnes raisons. Le gouvernement se permit de les taxer de populace. Or, pour
prouver qu’ils n’étaient pas cela, ils renversèrent le gouvernement ! »
On sut néanmoins que M. Dickens avait été fort agacé
par les nombreux coups de canon, les tirs trop nourris des carabines qui, depuis
le matin, avaient annoncé le rassemblement patriotique et le service religieux
commémoratifs. Au soir de cette journée, qu’Henri Druey et ses amis politiques
voulaient mémorable, les Lausannois, approbateurs ou non du gouvernement, ne s’étaient
pas privés du plaisir de danser valses et polkas sous les girandoles radicales.
Charles Dickens et les siens, bien qu’invités, n’avaient pas paru au bal.
On vit, pendant l’été et tout au long de son séjour,
M. Dickens visiter l’Asile des aveugles, parcourir le vignoble, grimper au
Jorat, emprunter la route de Bonaparte, pour monter jusqu’à l’hospice du
Grand-Saint-Bernard. Il organisa même une expédition, à dos de mule, avec sa
femme enceinte pour la septième fois, afin de visiter Chamonix. Les Dickens
passèrent, à l’aller, le col de la Balme, au retour, celui de la Tête-Noire, et
aidèrent à évacuer, sur une civière de branchages, une touriste allemande qui s’était
cassé la jambe !
7
C’est au cours de la réunion de la Diète, convoquée cet
été-là à Zurich, que l’existence du Sonderbund avait été, pour la première fois,
officiellement révélée. En décidant, le 9 juin 1846, de rejoindre l’alliance
secrète qui, depuis plusieurs mois, nouait les destins des cantons opposés à l’expulsion
des jésuites et à l’ingérence des radicaux étrangers dans leurs affaires
intérieures, les Fribourgeois avaient provoqué la réaction de l’assemblée
fédérale. Les cris d’alarme poussés par les députés des cantons dits régénérés
avaient été feints et outrés car tous savaient, depuis longtemps, à quoi s’en
tenir. Le texte de l’accord de défense passé entre les cantons de Lucerne, Uri,
Schwyz, Unterwald, Zoug, Valais et Fribourg, soucieux de maintenir « leurs
droits de souveraineté et territoriaux, par tous les moyens à leur disposition,
en conformité du Pacte du 7 août 1815 et des anciennes alliances », avait
bientôt été connu du public. « Les cantons s’entendront sur la manière la
plus convenable de se tenir mutuellement au courant de tous les événements. Au
moment où un canton obtient l’avis certain qu’une attaque doit avoir
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