Romandie
l’accord
du général Dufour, les batteries du fort Saint-Jacques seraient contraintes d’ouvrir
le feu si les Vaudois continuaient à avancer vers le bois des Daillettes, où se
tenait un demi-bataillon fribourgeois. Les officiers fédéraux dirent ne pas
avoir été prévenus jusque-là d’un armistice et remercièrent Perrier de sa
démarche. On échangea des politesses et des cigares, modernes calumets de la
paix !
À peine Perrier avait-il regagné ses lignes qu’Axel Métaz, arrivant
du quartier général, confirma l’armistice.
— Devant moi, le général Dufour a demandé au colonel
Édouard Burnand : « Avez-vous vu Rilliet ? Savez-vous où il est ?
Il ne faut pas qu’il fasse un pas de plus. Fribourg a envoyé un parlementaire. Nous
n’attaquerons pas [200] . »
D’ailleurs, on voyait à la longue-vue les défenses de la
redoute de Guintzet se dégarnir, comme si les hommes estimaient ne plus courir
le risque d’être attaqués.
L’annonce officieuse de l’armistice déplut fortement à certains
officiers vaudois, à Jules Eytel et à Bundi notamment qui, en l’absence de
document officiels, décidèrent de l’ignorer et donnèrent l’ordre à leurs
bataillons de faire mouvement et de sortir du bois de Cormanon pour marcher
vers la redoute fribourgeoise où ne restaient plus qu’une poignée d’artilleurs.
On se donnerait ainsi, à bon marché pensaient-ils, l’illusion d’un fait d’armes.
Le bataillon Eytel était surtout connu pour sa fanfare, ses
tambours et ses fifres, et c’est derrière sa musique qu’il s’ébranla. Les
artilleurs du fort Saint-Jacques, voyant, en dépit de l’armistice, les Vaudois
faire mouvement, regagnèrent les postes de combat et firent tonner leurs
bouches à feu. En peu de temps, boulets, obus et mitraille coupèrent l’élan des
assaillants que leurs officiers encourageaient sans grand succès à poursuivre l’assaut.
Vuippens vit arriver les premiers blessés et les premiers
morts, car l’artillerie fribourgeoise effectuait des tirs précis et, partant, très
meurtriers. Dès le commencement de l’engagement, la batterie vaudoise avait été
anéantie. Un des servants gisait, déchiqueté, un autre avait perdu un bras. La
troupe fédérale, déconfite, regagna bientôt ses positions de départ et, quand
vint la nuit et qu’on eut relevé les blessés et les morts, le silence ne fut
plus troublé que par les tirs de sentinelles apeurées.
— Si les Fribourgeois avaient tenté une sortie, il y a
fort à parier que c’eût été la déroute. Tous ces gens de chez nous, morts ou
blessés, ont été sacrifiés à la vanité et à l’ambition de politiciens haineux, officiers
sans expérience. Ils ont voulu jouer à la guerre. Voilà la belle victoire à
mettre à leur actif ! lança le capitaine Métaz avec humeur, devant une
partie de l’état-major.
On ne répliqua point.
Le lendemain, la capitulation étant publiée, elle devint
effective et Rilliet fit entrer toute la division dans Fribourg, transgressant
en cela les ordres du général Dufour, qui ne voulait pas voir plus de quatre
mille hommes occuper la ville. Le spectacle aurait pu être celui d’une cité
intacte, digne mais inquiète. Mais, sur les places et aux carrefours, des
monceaux de fusils brisés et des uniformes réduits en lambeaux par les vaincus
prouvaient la volonté des Fribourgeois de n’abandonner aucun trophée.
Sous le tilleul de Morat, dont Charlotte de Fontsalte, lors
de l’inauguration du pont de fer, lui avait raconté la légende, Axel vit un
groupe de radicaux du cru souhaiter, bras ouverts et sourire aux lèvres, la
bienvenue aux libérateurs. Le capitaine Métaz, à qui l’état-major venait de
confier la macabre mission de dresser un bilan des morts et des blessés de la
division, se détourna, tant le spectacle de ces opportunistes l’écœurait.
Le texte de la capitulation, après que le gouvernement
fribourgeois se fut engagé « à renoncer absolument à l’alliance dite
Sonderbund » et à licencier ses troupes, prévoyait : « Les
troupes fédérales garantiront la sûreté des personnes et des propriétés et
prêteront main-forte aux autorités constituées pour le maintien de l’ordre
public. » Cette clause fut ignorée et l’on vit les fédérés se conduire
plus souvent en pillards qu’en vainqueurs respectueux d’une victoire dont
certains semblaient regretter qu’elle n’eût pas été le fruit d’une vraie
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