Romandie
volontaires, encadrées par
des carabiniers. Les hommes riaient et plaisantaient, interpellaient les filles
qui regardaient s’écouler cette troupe indisciplinée de civils déguisés en
militaires. Uniformes incomplets, disparates, fripés, armes d’un autre âge, pipe
à la bouche et gourde brinquebalante, ces gens allaient à la guerre comme on va
aux champs, sûrs de leur bon droit, naïfs et confiants.
Axel et Louis déjeunèrent à Beauregard où Charlotte, évitant
toute considération politique, demanda à son fils de protéger, quoi qu’il
arrive, les prêtres catholiques, et d’empêcher le pillage des sanctuaires.
Blaise, découvrant que l’officier ne portait qu’un sabre de parade, lui offrit
une paire de pistolets, qu’Axel glissa dans les fontes de sa selle en espérant
ne pas devoir les exhiber. C’est alors que l’adjudant Trévotte lui remit une
gourde pleine de vieux marc de Bourgogne et lui glissa un conseil de vieux
briscard :
— N’oubliez pas les sommations de rigueur, mon
capitaine, dit Titus en montrant les pistolets. Un coup dans le bonhomme d’abord,
un coup en l’air ensuite. Faut qu’on entende deux coups… pour la règle !
Moudon, ville de deux mille habitants, grouillait de soldats
et les marchands de vins faisaient, depuis quelques jours, de bonnes affaires. Axel,
étant donné son âge qui, sans galons, l’eût placé dans le Landsturm, fut
affecté à l’état-major de la division. Il devrait assurer la liaison avec le
quartier général du commandant en chef, le général Dufour, pour la seule raison
qu’il possédait en Icare un cheval robuste ! Vuippens et son ambulance
suivraient, comme Axel, les trois brigades qui allaient entrer en campagne, Rilliet
ayant envoyé la quatrième, sous le commandement du colonel Nicollier, de Vevey,
garder les rives du Rhône, entre Bex et Villeneuve, avec mission d’empêcher les
Valaisans de se porter au secours de Fribourg, premier objectif de l’armée
confédérale.
Les Vaudois se mirent en route le 2 novembre et furent,
par Châtel-Saint-Denis, Semsales et Bulle, les premiers confédérés à pénétrer
en territoire fribourgeois. Les villages traversés avaient été désertés par les
hommes valides. On ne voyait, sur le pas des portes, que des femmes coiffées d’un
mouchoir rouge à la mode du pays, consternées, silencieuses, et des enfants
curieux. Dès les premiers jours de marche, Axel constata que le ravitaillement
en vivres laissait à désirer et que les hommes trouvaient plus souvent à boire
qu’à manger. Comme toute armée en campagne sur un territoire réputé ennemi, les
Vaudois se procurèrent de la nourriture dans les fermes, jambons et fromages
quelquefois offerts, parfois payés, souvent volés ou obtenus par un droit de
réquisition difficilement contestable. Axel vit avec satisfaction que l’ordonnance
qu’il avait recrutée, un Veveysan, caporal de chasseurs du 8 e bataillon
d’élite vaudois, nommé Armand Bonjour, se conduisait correctement. Il le vit
même payer une poignée de sel à une fermière à qui il venait d’acheter des
pommes de terre et un morceau de lard.
Après plusieurs bivouacs sous la pluie froide, au cours
desquels Axel et Vuippens dormirent près de leurs montures dans des écuries, l’avant-garde
de la brigade Veillon, que suivaient les Veveysans, atteignit Matran, un gros
bourg situé à deux lieues de Fribourg, dont on devinait, au-delà du moutonnement
des collines, les clochers et les toits dans la brume automnale. On savait déjà,
par des espions gratuits, venus au-devant de la brigade, brassard fédéral au
bras, que la ville tout entière était, depuis plusieurs jours, sur le qui-vive.
Ces radicaux fribourgeois voyaient arriver l’armée fédérale comme une force
libératrice. Le sentiment de trahir leurs compatriotes menacés n’effleurait pas
ces rustres, militants dévoués à la cause progressiste, que de récents
endoctrinés nommaient « l’immancipation intellictuelle [sic] des
peuples [199] ». Ils
révélèrent que Fribourg ne disposait, pour sa défense, que de cinq mille sept
cents hommes de troupes régulières, après la défection de cinq cents miliciens
moratois, prêts à marcher avec les fédérés. Le gouvernement conservateur avait
déjà convoqué sept mille réservistes du Landsturm mais, assuraient les informateurs,
un tiers seulement de ces gens disposait de fusils, les autres étant armés de
faux, de piques ou de
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