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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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avait vécu depuis deux
semaines.
    Dès qu’elle fut débarrassée, et avant même de s’asseoir, Élise
prit les mains de son mari dans les siennes et, plongeant son regard clair et
franc dans celui, vairon, d’Axel, dit, d’une voix étranglée :
    — J’ai à vous annoncer une nouvelle qui vous causera de
la peine, Axel.
    Tout de suite, il pensa et dit :
    — Ma mère ?
    — Non, Axel, votre mère va bien.
    — Les garçons ?
    — Dieu les protège ! Ils vont bien aussi. Non, Axel :
il ne s’agit pas d’un membre de nos familles.
    Le capitaine haussa les sourcils, interrogateur.
    — Marthe Bovey est morte, énonça-t-elle à voix basse en
se détournant, pour ne pas voir l’effet de ses paroles.
    Puis elle s’assit, comme exténuée par une divulgation qui
incluait plus que la triste nouvelle.
    — Vous saviez donc, dit Axel, après un silence.
    — Non. J’ignorais tout jusqu’à hier matin.
    — Jusqu’à hier ! Mais comment avez-vous appris ?
    Élise, calme, choisissant ses mots et sans élever la voix, raconta
comment, alors qu’elle se tenait au chevet d’un blessé, à l’hôpital d’Yverdon, un
médecin était venu lui parler :
    — « Il y a, dans une salle, une jeune femme qui
est en train de mourir. Elle m’a chargé d’un message. Elle m’a dit : “Faites
savoir à M me  de Fontsalte, à Beauregard, ce qui m’est
arrivé. Qu’elle dise à son fils que sa pensée ne m’a pas quittée. C’est tout.”
Or, m’a dit encore le médecin, vous semblez bien connaître notre bienfaitrice, la
marquise de Fontsalte, voulez-vous lui transmettre ce propos ? »
Votre mère était venue, quelques jours plus tôt, apporter des friandises aux
blessés et, ce médecin l’ayant vue assez intime avec moi, pensait que nous
étions des parentes, ou au moins des amies. Je lui ai demandé de me conduire à
la malade en question mais, quand nous sommes arrivés près de son lit, on
venait de recouvrir son visage du drap. Elle avait passé. J’ai levé le drap et
j’ai demandé son nom. On m’a dit : « M me  Marthe Bovey,
de Lausanne. »
    Axel s’assit à son tour, silencieux, les yeux au sol.
    — Et de quoi est-elle morte ? finit-il par articuler.
    Élise hésita un moment à répondre, se mordit les lèvres, puis
quitta son siège et s’en fut regarder par la fenêtre, sans le voir, le beau
portail des Cordeliers, de l’autre côté de la rue.
    — Cette personne était venue à Yverdon, où elle avait
des connaissances, pour se faire délivrer d’un enfant qu’elle savait porter
depuis quelque temps. Une de ces sages-femmes, qu’on appelle faiseuses d’anges,
a pratiqué sur elle son art criminel. Et, comme souvent, hémorragie et
infection ont succédé à cette opération. C’est de cela qu’est morte M me  Bovey.
Par amour pour l’homme dont elle a voulu, au péril de sa vie, protéger la
quiétude… et le foyer, conclut Élise, se tournant enfin vers son mari.
    Confondu, accablé, Axel se prit la tête dans les mains,
n’osant plus ni lever les yeux sur sa femme ni dire un mot.
    Élise traversa la chambre et vint à lui. D’un geste lent et
doux, elle obligea son mari à lever vers elle son étrange regard, prit son
visage dans ses mains tièdes et lui baisa le front.
    — Sachez, d’abord, Axel, que je ne vous fais pas grief
de ce qui s’est passé. Vous aviez une excuse majeure. Écoutant les médecins
plus que mon cœur et mon désir, je me suis refusée à vous par crainte, peut-être
par pusillanimité. Une autre a eu plus de courage. Je sais qu’elle vous a aimé
noblement.
    — Que savez-vous ? Que pouvez-vous savoir ? demanda
Axel en retirant les mains d’Élise de ses joues.
    — J’ai longuement parlé, hier soir, avec votre mère. Elle
a fait, en femme et en chrétienne, la juste part de toute chose. Elle sait la force
de l’amour. Elle a été admirable, d’une générosité de cœur que je n’avais pas
appréciée jusque-là. Je sais que je puis vous absoudre et vous aimer, comme le
soir où, à Belle-Ombre, vous m’avez demandé de devenir votre femme. Je sais que
votre cœur n’a pas trahi et je veux croire que vos sens seuls étaient engagés, dit-elle.
    — Puisque nous en sommes à cette franchise, Élise, vous
devez savoir que Marthe, elle, avait en revanche engagé son cœur et son esprit.
    — Sa fin le prouve. Un tel amour est respectable. Vous
et moi devons en respecter le souvenir, conclut-elle en

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