Romandie
qu’il ne perdît pas de vue que l’adversaire à vaincre n’était
pas un ennemi, au sens où cela est entendu dans toutes les guerres, M. Dufour
dépassait déjà le conflit, pour imaginer l’indispensable réconciliation dans le
giron de Mère Helvétie.
Une pluie glacée tomba toute la nuit sur les bivouacs. Les
deux amis, à l’abri d’un appentis, allongés côte à côte entre les gouttières, oublièrent
un moment le présent et Vuippens, comme souvent, se mit à parler de Zélia, partie
depuis plus d’un an dans les Carpates. Peu de jours avant de quitter Vevey, le
médecin avait trouvé sous sa porte, apporté par quelque mystérieux émissaire, un
message de la Tsigane. Elle l’assurait de la constance de ses sentiments et lui
demandait de patienter, « les choses allant tout naturellement vers l’accomplissement
attendu ».
— Cela signifie que ta demi-sœur doit approcher de sa
fin et que Zélia va peut-être revenir. Je lui laisse jusqu’au printemps. Ensuite,
je vais la chercher, dit le médecin, rageur.
— Si tu me le demandes, j’irai avec toi, proposa Axel.
— Eh ! Je ne dis pas que je ne te le demanderai
pas, fit Vuippens en envoyant une bourrade à l’ami.
— En attendant, nous devrions faire un somme. J’ai le
sentiment que la journée de demain sera chaude et je dois retourner à Belfaux
dès dix heures, conclut Axel en se couvrant de son manteau.
Le lendemain, 13 novembre, l’officier de liaison Métaz
rapporta, vers midi, une autre information de Belfaux, confidentielle celle-ci,
qu’il ne livra qu’à l’état-major et à Vuippens.
Le matin, dès huit heures et demie, un officier
parlementaire, envoyé par le général Dufour, avait proposé au gouvernement
fribourgeois ce qu’on nommait, pour ne pas froisser les gens susceptibles, un
accommodement. Il s’agissait, en fait, d’une proposition de reddition sans
combat, qui épargnerait de nombreuses vies humaines. Après avoir détaillé l’importance
de l’armée assiégeante et le nombre de ses bouches à feu, le parlementaire se
déclara prêt à faire effectuer à un représentant fribourgeois une visite aux
troupes fédérales, pour prouver qu’il n’en exagérait ni les effectifs ni l’armement.
Le chancelier, M. Alfred von der Weid, fut donc délégué pour vérifier la
présence des forces décrites par le parlementaire fédéral. M. von der Weid
était rentré de sa mission atterré et convaincu que toute résistance serait
suicidaire. Il avait aussi obtenu un armistice qui devait prendre effet
immédiatement. Les parlementaires se donnaient jusqu’au lendemain matin, dimanche
14 novembre, pour mettre au point les modalités de la capitulation. Le
Conseil d’État savait déjà que la ville serait transformée en cimetière si l’assaut
était donné, les Fribourgeois étant décidés à se faire tuer jusqu’au dernier.
Cependant, de nombreux officiers, comme le chef des forces
fribourgeoises, le général-marquis de Maillardoz, prêchaient la résistance à
outrance. Brillant officier d’Empire, Philippe de Maillardoz s’était battu à
Iéna et à Eylau, où il avait réussi à franchir les lignes ennemies pour porter
un ordre au général Molitor, ce qui lui avait valu la Légion d’honneur. Il
avait, disait-on, refusé la capitulation envisagée par le Conseil d’État et démissionné.
Le bruit courait à Belfaux qu’il pourrait reprendre cette démission en cas d’attaque
des fédéraux.
— Le Conseil d’État fribourgeois sait la ville assiégée
par des forces sept fois supérieures à celles dont il dispose. Il ne peut qu’espérer
une reddition honorable, commenta Axel.
— Peut-être n’aurai-je même pas une balle à extraire ni
une attelle à poser, dit le médecin.
Dès le petit matin, le colonel Veillon avait fait avancer
son bataillon jusqu’à la lisière du bois de Cormanon et, au grand
mécontentement de Vuippens, on avait distribué de l’eau-de-vie aux soldats.
— C’est pour nous aguerrir avant l’attaque, dirent
plusieurs, qui refusèrent de boire.
Avant même que le capitaine Métaz ne fût revenu du quartier
général, on sut que Fribourg se résignait à la capitulation. C’est un major du
génie fribourgeois, Ferdinand Perrier, qui, sous couvert du drapeau blanc des
parlementaires, annonça la nouvelle au colonel Veillon et à ses chefs de
bataillon. Il les mit aussi en garde. L’armistice étant entré en vigueur avec
Weitere Kostenlose Bücher