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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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admirable homme de guerre ».
    M. Fazy, feignant de craindre une nouvelle guerre de
religion, demandait depuis peu « que la question religieuse soit réléguée
dans le domaine où elle doit être placée, dans la liberté d’opinion ». Il
avait même expliqué, rapporta M. Laviron à Axel, « qu’une politique
sage doit séparer les croyances de toute influence gouvernementale et les
laisser agir dans le cercle du droit commun accordé à chaque citoyen ».
    Les prédicateurs les plus appréciés, au cours de ce dimanche,
furent cependant les zélateurs de la vraie charité chrétienne. MM. Chenevière
et Munier, qui parlèrent à Saint-Pierre et à Saint-Gervais, reçurent
approbation et respect de tous. Leurs longs discours érudits furent imprimés
afin que le peuple protestant pût les relire et les méditer à l’aise.
    À trois heures eurent lieu, dans les temples, des services d’action
de grâces et le soir, à sept heures, un concert spirituel et une fête musicale
furent offerts aux Genevois par la Société de chant sacré, présidée par M. Wend,
pasteur de l’Église luthérienne, et dirigée par M. Wehrstaedt. On
interpréta le Te Deum de Haendel, et une œuvre spécialement composée
pour la circonstance. Le temple, somptueusement éclairé, devint salle de concert.
    Pendant les chants, Anaïs Laviron désigna soudain à Élise un
grand jeune homme frêle, au profil noble et sévère, dont les longs cheveux
croulaient sur les joues.
    — C’est Franz Liszt, souffla-t-elle. Il est arrivé hier
avec une jeune femme blonde, très élégante, la comtesse d’Agoult, que j’ai connue
en 32.
    Puis, se tournant vers Alexandra :
    — Tu vois ce grand monsieur, en redingote bleue. C’est
le plus grand pianiste de notre temps. Nous irons l’entendre en concert et, s’il
accepte de donner des cours à des jeunes filles douées, comme toi, tu seras son
élève, je te le promets.
    Rien ne pouvait causer plus de plaisir à la filleule d’Axel,
dont tous les mélomanes amis des Laviron reconnaissaient les dons exceptionnels.
    À l’issue du concert, Martin Chantenoz se montra fort
critique.
    — Haendel a été exécuté au sens militaire du terme !
dit-il à ses amis.
    M me  Laviron, Élise et Alexandra partagèrent
cet avis.
    — J’aimerais bien connaître l’appréciation de M. Liszt,
dit Alexandra [70] .
    En sortant du concert, les Métaz et leurs amis déambulèrent
dans la ville illuminée. Les fontaines, parées de lanternes colorées, devenaient
cascades de lumière. Aux fenêtres des maisons, mille modestes quinquets
frissonnaient dans la nuit tiède. Sur les places s’élevaient des pyramides de
feuillage ; rue Neuve, à la Corraterie, rue du Rhône, dans les rues basses,
les badauds passaient, nez en l’air, sous des arcs de triomphe, parfois sous
les portraits sévères de Calvin et des autres réformateurs, peints sur des
transparents tendus à hauteur du premier étage des maisons. Partout, des
guirlandes et des girandoles suspendues aux branches des arbres conféraient à
Genève une ambiance de fête foraine. Autour de la fontaine, place du
Bourg-de-Four, soixante enfants dansaient la ronde sous les fenêtres du peintre
Hornung. À deux pas de là, rue des Belles-Filles, les demoiselles de petite
vertu, en congé de charme, avaient disposé sur leurs fenêtres de pieux
lumignons et, déambulant par deux ou trois dans des toilettes discrètes, ne se
distinguaient plus des honnêtes femmes du quartier.
    Mais c’est à Saint-Gervais, chez les cabinotiers
rousseauistes et les ouvriers de la Fabrique, que la célébration prit un tour
quasi laïque et républicain. Dans la rue de Coutance, une très longue table
avait été dressée en plein air, pour accueillir, à l’occasion d’un banquet aux
lampions, plus de trois cents citoyens. À ces agapes jubilaires, les Laviron
trouvèrent un aspect profane, voire païen, tandis que Chantenoz y vit une manifestation
platonicienne et conviviale de la liberté d’esprit des purs Genevois.
    Le lendemain, les journaux assurèrent que plus de cinquante
mille personnes avaient assisté, la veille, aux fêtes et cérémonies du jubilé, alors
que la population de la ville ne dépassait pas vingt-sept mille habitants.
    La fête populaire terminée, la célébration théologique
commença, le 24 août, par une grande conférence ecclésiastique sur « l’état
et les progrès du protestantisme ». Pendant que se

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