Sachso
Harponné par mes adversaires, la chemise déchirée, maculée et malodorante, je suis traîné vers le Blockführer S. S. dit “la Rustine” (il a toujours des furoncles plein son cou gras et congestionné). Je me repens amèrement de m’être emporté, car, dans ma fausse poche, il y a les deux fameuses cartes avec les fronts dessinés. Heureusement, la Rustine, dégoûté par mon odeur et croyant à une simple et banale altercation de W.-C., me renvoie au B. M. K. à grands coups de botte et avec force vociférations… Là, l’agitation est vive. Me coinçant entre deux classeurs qui nous isolent, l’ingénieur Lubasch, chef du bureau d’études, qui est foncièrement antinazi mais reste prudent, prend ma main, heureusement peu souillée et me chuchote en la serrant chaleureusement : “Herr Désirat, entre travailleurs, on se comprend !” »
Le danger semble se resserrer autour du B. M. K. Un Blocksperre est décrété, c’est-à-dire que tous les détenus sont consignés dans leurs blocks, afin de permettre à la Gestapo de fouiller à son aise dans les halls et d’y trouver si possible des indices de l’activité clandestine dont les résultats sont visibles. La direction française réagit immédiatement avec Charles Désirat : « Avant la visite, Horst Lehmann et moi, nous prenons le risque de pénétrer dans le B. M. K. pour faire disparaître toute trace que nous aurions pu laisser. Le dictionnaire que m’a confié Léon Depollier rejoint ainsi notre “trésor de guerre” (tout le capital en tabac de la Résistance) dans le caniveau où passe la canalisation d’air comprimé. Grâce à Horst, rien n’est découvert. Mais il est certain que Roumi et ses pareils ont dû moucharder l’activité décelable autour de ce B. M. K. La police réagit à son échec ; une autre méthode est employée. Lehmann, qui a refusé de s’inscrire comme volontaire pour la division Dirlewanger (il en a discuté avec nous) est arrêté et conduit au block 58 à Sachsenhausen.
« Dès le départ de notre Vorarbeiter si dévoué et si précieux, tous ceux du B. M. K. ne songent plus qu’à le faire revenir et créent une savante pagaille. Personne ne comprend plus les ordres techniques. Le Hallenvorarbeiter, le Hallenführer S. S., le Hallenleiter civil, le directeur technique de l’usine viennent au B. M. K. et, arguant de ma connaissance de leur langue, me pressent d’être Vorarbeiter. Je refuse. Je leur dis que je suis prêt à exécuter les ordres qu’on me donne mais incapable d’en donner. J’ajoute que je ne sais pas assez d’allemand pour interpréter les directives techniques, et risque de commettre de graves erreurs. Cela tombe juste au moment où la fabrication des 177 est abandonnée et où les S. S. ont trouvé bénéfique de faire monter ici des chasseurs Focke-Wulf. Ils ont un besoin urgent du bureau d’étude d’outillage…
« Ils somment l’agent de la Gestapo qui nous surveille de son bureau vitré de nous faire travailler. Celui-ci s’affaire, crayon sur l’oreille, passe de table en table d’un air supérieur et dégoûté. Il nous fait afficher au coin de la table le travail en cours et les dates d’exécution. Mais nous nous apercevons vite que ce “seigneur” incapable est allergique à l’odeur de l’ail. Ravitaillés par nos cuistots, nous attaquons “aux gaz”. Chaque matin, chacun mâche sa gousse de Knoblauch au moment de l’inspection rituelle. En grommelant des injures méprisantes, le sbire regagne précipitamment son aquarium d’où il nous considère d’un œil torve…
« Excédés, la direction civile et les S. S. reviennent à la charge et me revoilà sur la sellette. Je leur expose que, faute de directives techniques compréhensibles, malgré notre bonne volonté, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Horst Lehmann, lui, savait diriger le travail… C’est gagné ! Grâce à cette grève perlée inavouée, quelques jours après, Horst revient au B. M. K., où reprend l’apparence d’activité qui permet aux S. S. de toucher le prix de location de nos soi-disant services, et à la direction de justifier son utilité… loin des combats du front, car pour ces gens, le moral n’est plus celui des vainqueurs. La seule victime sera notre superviseur. Disgracié, il est viré dans un emploi subalterne chez Messerschmitt, encore heureux de ne pas être envoyé sur le front de l’Est.
« Malgré ce succès partiel, le
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