Sachso
pensons que les gouvernements alliés vont intervenir pour notre sauvegarde.
« Les nouvelles des fronts confirment et même améliorent sur quelques points notre vision de la gigantesque bataille en cours. La situation politique nous apparaît un peu confuse mais nous apprécions le mot d’ordre : “Tout pour le front et la renaissance de la Patrie.” Les commentaires durent longtemps dans toutes les familles politiques tenues au courant. Les précieux “emballages” sont scellés dans des tubes d’alu et enterrés en lieu sûr… »
Les derniers soubresauts de la bête nazie sont néanmoins redoutables. Sur un ordre venant des autorités supérieures, les détenus politiques de Heinkel qui sont soupçonnés d’être des communistes influents ou d’avoir un rôle dans le sabotage sont regroupés au grand camp de Sachsenhausen. Avec Léon Depollier, Charles Désirat est de la première fournée. Il est remplacé à la direction clandestine par Roger Guérin : « Je reste en contact avec plusieurs responsables, mais ils changent à chaque transport qui fait tomber l’effectif, en même temps que la production tend vers zéro. Nous maintenons quand même l’essentiel de l’organisation. Sur le plan international, à part les Allemands en liaison constante avec nos cuistots, je n’ai de contact régulier qu’avec un colonel de l’armée soviétique connu de mes prédécesseurs.
Il parle imparfaitement l’allemand et pas du tout le français. Par le truchement d’un copain connaissant l’allemand, nous examinons ensemble les mesures à prendre en cas d’évacuation du camp…
« Avec nos cuistots, Héchinger, Kamel et autres, secondés par Maurice Desbieys, revenu très malade de Klinker, nous organisons un petit stock de nourriture pour la route. Kamel se chargera de la répartition pour les Français, les représentants des autres nationalités ayant organisé une aide semblable pour les leurs…
« Il est décidé que les Français fermeront la marche pour porter secours aux plus faibles. En tête, les Soviétiques s’efforceront de freiner l’allure. »
À l’heure de l’évacuation, Maurice Desbieys, malade à l’infirmerie, tente d’échapper à la marche : « Avec les infirmiers Placet et Legendre, nous réussissons à nous faufiler dans un tunnel au moment du départ. Nous y récupérons des gars qui, eux aussi, ne sont pas partis. Nous espérons rejoindre les troupes soviétiques les plus proches. Hélas, du côté de Germendorf, nous sommes interceptés par un groupe d’irréductibles fanatiques (S. S., soldats de la Wehrmacht et de la Kriegsmarine) qui nous conduisent à Sachso manu militari au prix de la plus belle peur de ma vie ! »
UNE LUTTE CHÈREMENT PAYÉE
Tout au long de ses vingt-six mois passés à Heinkel, Maurice Desbieys avait pourtant eu bien des occasions d’avoir peur, surtout à ce poste des cuisines si important pour la solidarité et la résistance. À deux moments essentiels l’organisation française a été mise en péril et, chaque fois, par la faute de dénonciateurs félons : en août 1943, quand les activités de sabotage commençaient à se planifier et à se compléter les unes les autres ; en juillet-août 1944, quand les suites du bombardement anglais et l’extension de la résistance avaient porté un coup mortel à la production des He-177. La première fois, la répression a frappé au commencement de la chaîne, au hall 2. La seconde fois, elle s’est abattue au bout de la chaîne, au hall 8. L’héroïsme des Français arrêtés, dont plusieurs ont payé de leur vie le refus de parler, a circonscrit les pertes dans les deux cas. Mais ce douloureux tribut des Français de Heinkel à la résistance commune ne peut être passé sous silence, lui.
Un jour d’août 1943 donc, Roger Guérin en revenant au hall 2 après une corvée extérieure, est frappé par l’air inquiet d’Alex Le Bihan, qui l’interpelle aussitôt : « Il m’apprend que Georges Roux et Pierre Renaudet, dit Pompon, sont au sous-sol avec le Rapportführer du hall et que je dois les rejoindre. Walter Hilger, notre Vorarbeiter, non moins inquiet, le confirme. Il doit m’accompagner. Nous descendons, le S. S. m’interroge : nom, prénom, matricule. Nous remontons. Il enfourche sa bicyclette et nous enjoint de le suivre. Il est à vingt mètres devant nous mais tourne sans cesse la tête pour nous surveiller…
« Georges et Pompon
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