Sachso
Revier de Sachsenhausen, est ainsi renvoyé de Bergen-Belsen à Buchenwald. Mais en règle générale, le « mouroir » ne relâche pas ses victimes, surtout quand se précise la défaite hitlérienne.
Le 28 janvier 1945, avec près d’un millier de déportés de Sachsenhausen malades, blessés ou âgés, Yves Léon arrive à Bergen-Belsen :
« Lorsque les portes de nos wagons s’ouvrent enfin, nous avons très peur. Nous sommes en pleine campagne, dans les landes de Lunebourg, sans aucune maison en vue. Que veulent faire de nous les S. S. ? Nous nous attendons au pire…
« Mais non, nous voici en rangs et, après plusieurs kilomètres de marche, le camp de Bergen-Belsen apparaît, entouré de terrains déserts et marécageux, un paysage de désolation.
« Des rangées de barbelés le ceinturent et le divisent en plusieurs petits camps. Dans l’un j’aperçois, très étonné, des femmes portant des robes rayées et des foulards rayés également. Dans un autre – le petit camp 4 –, il y a des familles entières israélites avec des petits enfants à peine vivants, si maigres que leur image m’obsédera longtemps.
« À Bergen-Belsen, les déportés ne travaillent pas : il n’y a ni usine, ni mine, ni chantier. On y meurt tout simplement de froid, de faim, sous les coups ou par piqûres.
« Notre convoi de Sachsenhausen est parqué au début dans deux baraques du camp 3, sans lits, avec l’eau coulant du toit. Les journées se passent en appels interminables sous la pluie et la neige fondue. De temps à autre les kapos annoncent que nous allons faire du sport “pour nous réchauffer”. Il faut sauter et courir sur place, se coucher et ramper dans la boue. Nous sommes toujours mouillés et gelés, sans pouvoir nous changer. Nous n’avons presque rien à manger. Et les nuits sont atroces.
« Une première rangée doit s’asseoir, adossée à la cloison de la baraque, les genoux relevés et écartés. Une deuxième rangée s’assoit alors de la même manière entre les jambes de la première et ainsi de suite, jusqu’à l’allée centrale où vont et viennent les kapos. Il faut rester toute la nuit imbriqués ainsi les uns dans les autres, sans possibilité de sortir, même pour un besoin naturel.
« Deux semaines de ce régime réduisent sérieusement notre groupe de Sachsenhausen. Tant de camarades sont déjà morts que, dans ma baraque nous avons maintenant assez de place, la nuit, pour nous allonger tous sur le plancher.
« Mais les arrivages reprennent, y compris de Sachsenhausen. Je retrouve des camarades venant du kommando de Kustrin, comme Jean Coatanroc’h, Émile Leroux, des Bretons que j’ai connus à la prison de Saint-Brieuc.
« Je passe alors au camp 1, qui fournit les détenus pour les corvées intérieures, le défrichage de la lande. Là, les baraques ont des châlits, mais la mort y rôde aussi : typhoïde, typhus, etc.
« Pour la troisième fois, la dysenterie me terrasse. Je suis désigné pour la baraque des grabataires. Mais elle déborde déjà et j’échoue au block 3, devenu également une baraque de mourants. J’y suis le seul Français et j’ai perdu les derniers compagnons de mon transport de Sachsenhausen : Yves-Marie Landouar, de Locquemeau, et Paul Joly, de Roubaix. J’aurais pu mourir là, personne n’en aurait jamais rien su…
« Les dernières semaines, en mars et avril, sont terribles. Le camp est surpeuplé et les décès n’ont jamais été si nombreux. Les S. S. font creuser de grandes fosses au bulldozer et forcent tous les détenus qui peuvent encore marcher – j’en suis – à y transporter les morts.
« Il n’y a plus de chariots. Nous nous mettons à deux pour tirer un cadavre avec nos ceintures nouées à ses poignets ou à ses chevilles. Le chemin est long du camp 1 où nous sommes aux fosses ouvertes en dessous du camp 4. Lorsque nous arrivons, deux squelettes vivants traînant un mort, celui-ci n’a presque plus de peau. Nous détachons nos ceintures, basculons le corps dans la fosse et repartons en chercher un autre.
« Le 15 avril 1945, lorsque les troupes britanniques pénètrent dans le camp, il y a encore treize mille cadavres non enfouis… »
Pour le seul mois d’avril 1945, on évalue à quarante-quatre mille le nombre des morts à Bergen-Belsen. Parce que le calvaire d’Yves Léon et de ses camarades se prolonge ! La libération ne met pas fin à l’hécatombe, qui se poursuit,
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