Sachso
(n° 128 956), pense que cela ne doit pas être pire que la Strafkompanie de Sachsenhausen où il a tant marché et souffert en peu de jours.
La montée est un véritable calvaire. Par un froid glacial, dans un paysage de neige, les groupes autour desquels tournoient une meute de chiens et de S. S. aboyant et frappant, laissent le long de la route de nouveaux morts et mourants, malgré l’aide apportée aux plus faibles par ceux qui le sont moins. Le Dref, qui souffre d’une pleurésie et grelotte de fièvre est soutenu par le capitaine de cavalerie Jacques De Dionne et l’abbé Vallée. Ils sont dans les derniers à franchir la porte d’entrée du camp où une sélection impitoyable commence sur la place d’appel.
Gaston Bernard, transi, est en alerte : « Nous sommes alignés et les officiers S. S. demandent aux vieux et aux malades de sortir des rangs. Ils promettent de les mettre dans des baraques où ils se reposeraient. Trop peu de candidats ! Les S. S. choisissent eux-mêmes ceux qu’ils veulent éliminer. Nous nous trouvons séparés en deux groupes.
« Comme toujours, j’ai pris pour habitude de laisser faire les choses, d’attendre le plus longtemps possible. Je suis donc en fin de colonne, quand l’ordre des S. S. de faire avancer la file des faibles coïncide avec une avalanche de coups qui accroît la confusion. Je ne sais plus quel est le bon groupe, le hasard m’y place. Souvent notre sort se joue ainsi, comme à pile ou face… »
Avec ce qu’il appelle son « bon groupe », Gaston Bernard passe toute la nuit dehors, par -10°, entre le bâtiment des cuisines et le mur extérieur. Mais il est vrai que ce sort est encore de loin préférable à celui du groupe des quelque cinq cents sacrifiés choisis par les S. S.
Le Dref, l’abbé Vallée et De Dionne sont parmi ces parias que les S. S. contraignent à se déshabiller dans la cour. Sous les morsures du froid, certains crient. Les bourreaux branchent alors des lances à eau et aspergent les corps décharnés. Un détenu proteste. C’est le général soviétique Karbitchev, un géant taillé en athlète, prisonnier de guerre, que le camp de Sachsenhausen a déjà beaucoup affaibli. Les nazis concentrent leurs jets sur lui. L’eau se transforme en une carapace gelée qui lui serre la poitrine. Il agonisera deux jours durant dans son linceul de glace, et c’est ce supplice atroce que rappelle un monument de granit élevé à l’entrée du camp de Mauthausen après la guerre.
L’abbé Vallée, devant le déchaînement des S. S., ne cache pas ses craintes : « Je crois qu’aucun de nous n’en réchappera. Je vais donner à tous l’absolution. » Le Dref meurt bientôt. D’autres vacillent, tournent sur eux-mêmes et s’abattent, sans vie. Avec la nuit tombée, le froid augmente : le nombre des morts aussi.
Les malheureux qui survivent ont un moment d’espoir en entendant l’ordre de se rendre aux douches, dans une grande salle en sous-sol. Hélas ! l’eau est encore glacée et monte peu à peu jusqu’à atteindre les genoux, car les S. S. ont fermé les orifices d’évacuation. Une chute et c’est la noyade. Vingt minutes de ce traitement puis, à nouveau, la cour, le froid et une seconde séance de douche plus meurtrière…
Quand le jour se lève, les S. S. inventent un supplice plus horrible encore. Les quelque deux cents déportés encore debout sont divisés en deux groupes, mis face à face. Au coup de sifflet, ils doivent courir et se croiser pour qu’un groupe remplace l’autre. Mais au centre, au point de rencontre, il y a trois S. S. avec de gros gourdins qui fracassent les crânes à la volée. Puis les gourdins sont remplacés par des haches qui font sauter les têtes ou des morceaux de crâne. L’effroyable massacre ne s’interrompt que pour charger les cadavres dans une charrette qui prend chaque fois la direction du crématoire. Ce qui donne une idée à De Dionne pour échapper aux haches sanglantes. Au cours d’une de ses courses infernales, en enjambant le tas des morts enchevêtrés, il se laisse tomber sur eux. À son tour il est transporté vers le crématoire, mais il profite d’un moment propice pour fuir à toutes jambes. Le hasard veut qu’entre temps les S. S. aient mis fin à leur carnage. De Dionne est sauvé. Il peut rejoindre ce qui reste de son groupe : moins d’une centaine d’hommes. Plus de quatre cents ont été tués durant cette nuit atroce du 17
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