Sachso
comporter aucune exigence, sous peine d’être refusées. Les lettres obscures, ou illisibles seront détruites. Au camp, tout peut être acheté. Seuls les journaux nationaux-socialistes sont autorisés, mais les détenus doivent se les procurer dans le camp. Les colis de vivres peuvent être reçus sans limitation de quantité. »
Roger Biéron précise que les interdictions non écrites concernant la correspondance sont bien plus nombreuses : « Il est interdit de donner des détails sur son état de santé, de parler de ses conditions de vie et de travail, d’évoquer le motif de la détention, d’utiliser des sous-entendus, etc. Aussi le texte reçu par les parents est-il toujours insignifiant. Il a malgré cela une valeur inestimable, car il fait savoir aux êtres chers que l’absent est toujours vivant.
« Les Français arrivés à Oranienburg en janvier 1943 écrivent leur première lettre le 3 mars 1943 et doivent attendre le 2 mai pour adresser la seconde, qui ne parviendra à destination qu’en juin.
« L’inquiétude des familles durant ce long silence s’exprime dans ces quelques lignes que ma mère, dans son désarroi, m’adresse en français au lieu de l’allemand réglementaire :
“Argenteuil, le 6 mai 1943
“Mon Cher Roger,
“Je t’envoie lettres, colis et mandats et n’ai aucune réponse. Je pense que tout te parvient et je ne désespère pas d’avoir de tes nouvelles.”
« Cette missive me parviendra le 11 juillet 1943. En effet, alors que le trajet moyen du courrier en langue allemande dure de trois à quatre semaines, il faut compter le double pour une lettre rédigée en français.
« Une carte-lettre écrite par un déporté est oblitérée environ une semaine plus tard par la poste d’Oranienburg, après avoir été examinée par la censure du camp et éventuellement barrée au révélateur d’encre sympathique.
« Parfois, l’administration du camp ajoute un texte à l’insu du signataire. C’est ainsi que, dans la lettre du 16 mai 1943, un papillon tapé à la machine et collé en marge précise : “Il m’est permis de recevoir des colis de vivres en nombre illimité. Les envois d’argent doivent m’être adressés personnellement, aucun maximum n’est fixé.” Dans la lettre du 7 novembre 1943 un autre papillon : “Il m’est permis de recevoir une à deux serviettes de toilette. Prière de me les envoyer à l’occasion.” Tant il est vrai que les S. S. ne répugnent pas aux “petits moyens” fussent-ils les plus malhonnêtes. En particulier, les achats possibles au camp étant pratiquement nuls, de nombreux détenus avaient demandé à leurs familles de ne pas leur envoyer d’argent ; manifestement les gardiens étaient d’un avis opposé. »
Du 2 mai 1943 au 6 août 1944, vingt-sept lettres sont envoyées par les Français du convoi des 58 000, soit en moyenne une lettre tous les seize jours. Une dernière correspondance en direction de la région parisienne portant le cachet d’Oranienburg du 11 août 1944 est retournée à son expéditeur avec la mention « n’a pu être acheminée » . Et pour cause : le 25 août 1944, Paris est libre !
Parias entre les parias, certains Français sont privés du droit d’écrire. Ce sont les N. N. (Nacht und Nebel), les « Nuit et brouillard », qui subissent une répression renforcée à l’exemple des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais (les 38 000) et des prisonniers des forteresses de Sonnenburg et de Haute-Silésie (les 117 000). D’autres, comme ceux du convoi de mai 1943, dont fait partie Maurice Poyard, sont pénalisés moins longtemps : « Parce que nous avons chanté dans les rues de Compiègne au moment du départ, interdiction nous est faite d’écrire à nos familles durant deux ou trois mois selon les cas. »
Difficulté de taille pour la grosse majorité des Français : le courrier qui part du camp doit obligatoirement être rédigé en allemand. Aussi faut-il trouver l’âme charitable disposée à prêter ses bons offices. Ce n’est pas facile et bien souvent ce sera un ami luxembourgeois qui se dévouera pour servir de secrétaire-interprète. D’autres fois, le service n’est obtenu qu’en étant monnayé : dans des kommandos isolés, beaucoup, n’ayant rien à offrir, n’écrivent pas, du moins au début. Car, au fil du temps, une connaissance rudimentaire de l’allemand progresse dans les rangs et permet de s’en tirer avec des
Weitere Kostenlose Bücher