Sachso
les chiens des S. S. de ronde qui se distraient à nos dépens. La première bête est un bas-rouge, la seconde un bouledogue. Bien dressés, ces chiens ne nous attaquent que par-derrière, nous mordant aux fesses et aux cuisses. En deux ou trois minutes, ils nous terrassent… »
À ceux qui sortent de prison où ils avaient d’autres soucis, d’autres préoccupations, la vie dans le camp-usine pose des problèmes nouveaux dont il est prudent d’envisager tous les aspects.
Quand Léopold Chiron, charcutier de son état, est interrogé sur son métier, il n’hésite pas : « Je déclare ma profession réelle dans l’espoir de me rapprocher des cuisines… Quelques minutes plus tard, je rencontre un habitant de la Roche-Chalais, en Dordogne, arrêté huit jours avant moi. C’est Stéphan Gazda, d’origine polonaise, qui m’a précédé à Heinkel. Quand il apprend que je viens de me déclarer charcutier, il ne me félicite pas. Il m’explique que les détenus n’ayant pas de spécialité dans la production risquent d’être enrôlés au déblaiement et au déminage des villes bombardées. Il me conseille de me déclarer mécanicien, ajusteur, électricien ou autre chose du même genre. C’est ce que je fais peu après quand on redemande les professions et j’entraîne avec moi mon camarade Bouchet, boulanger de la Rochefoucauld (Charente), qui se prétend mécanicien.
« C’est ainsi que je suis affecté au hall 6, dans une kolonne de quatre-vingts détenus chargés du câblage électrique des boîtes de jonction commandant l’ouverture des soutes à bombes du He-177. On me donne une trousse à outils avec une quantité de clés entre lesquelles je me perds…
« Heureusement, j’ai à mes côtés André Coutances, de la région parisienne, de la partie, puisque radio-électricien.
— “Tu as l’air vraiment embarrassé”, me dit-il. – “Tu parles, on le serait à moins. Moi, mon métier c’est charcutier, et cette cochonnerie est d’un tout autre genre que celles auxquelles je suis habitué.”
« Il y a cent vingt fils électriques de diverses couleurs à souder ou à fixer avec un écrou dans une petite boîte de quinze centimètres de long, sur douze centimètres de large. J’ai un schéma mais il ne m’est d’aucun secours. “Tu n’as qu’à couper les fils à la longueur voulue, dit Coutances. Je te préparerai deux ou trois boîtes. Elles seront facilement acceptées au contrôle et tu ne seras plus embêté.”
« En effet, mes premières boîtes subissent bien les opérations du contrôleur civil allemand, trop bien même. L’homme me tape sur l’épaule et me dit : “Toi Français bon spécialiste, bien ! bien !”
« Mais c’est une autre chanson que j’entends les jours suivants. Les boîtes sur lesquelles je m’escrime sont loin d’être parfaites, et pour cause ! Alors si un “spécialiste” comme moi ne fait pas son travail, dit-on, c’est qu’il y met de la mauvaise volonté…
« Pendant huit mois je me bats avec ces satanés fils et je manœuvre à longueur de journée pour ne pas avoir trop à subir la hargne des brutes qui rôdent autour de notre kolonne où sont également mes camarades Desvergnes et Renaud. »
Au hall 8 où il a été « initié » par Bernard Sidobre, André Castets lime pour lui et pour Félix Banquet, un boulanger des Landes qui demeure rétif à la bâtarde et à la demi-ronde.
« Ça le sauve un peu, » dit-il. C’est bien de cela qu’il s’agit, ici et dans les autres kolonnes où des Français âgés, malades, maladroits, sont pris en charge par d’autres Français. Il n’est pas question de se lancer dans la course à la production voulue par les nazis, il faut seulement éviter qu’un camarade attire l’attention sur lui, soit exposé aux coups, décroche et disparaisse…
Des camarades isolés sur leur poste de travail ne peuvent malheureusement bénéficier d’aucune entraide. Au hall 6, Georges Cassin est tout seul sur une machine qui fabrique des arceaux. Sa cadence est trop lente selon le S. S. et le Vorarbeiter : « Je suis frappé à toute occasion. Mais, comme mon rendement continue à rester insuffisant, je suis expédié au Baukommando. »
À Heinkel – mais cela vaut aussi pour bien d’autres annexes de Sachsenhausen –, le Baukommando est l’un des éléments du système répressif des S. S., une sorte de kommando disciplinaire.
Les déportés du Baukommando ne
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