Sang Royal
raffut sur le seuil de la porte détourna l’attention de Maleverer. Les soldats traînaient Broderick dehors, et les lourdes chaînes attachées à ses chevilles résonnaient sur le sol. Puis ils apportèrent la chaise de Radwinter et y installèrent Broderick. Le Dr Jibson suivait, en bras de chemise, les manchettes souillées, ses joues rebondies empourprées.
« J’ai du mal à voir clair à l’intérieur », expliqua-t-il.
Le teint blême, Broderick hoquetait et respirait bruyamment. Il me foudroya brièvement du regard au passage. Radwinter sortit de la cellule. Maleverer l’appela.
« Comme je viens de le dire à messire Shardlake, lança-t-il d’un ton cassant, je ne vois qu’une réponse à ce mystère : c’est vous qui avez empoisonné le prisonnier. »
Radwinter m’adressa un regard assassin. « Lui ne dira rien pour vous détromper.
— Messire Shardlake n’est pas d’accord avec moi. »
Radwinter eut l’air stupéfait. Il me fixa d’un air perplexe. « Je jure que je ne l’ai pas empoisonné ! Sangdieu ! pourquoi est-ce que j’attirerais ainsi les soupçons sur moi ?
— Qui êtes-vous pour me tenir tête de la sorte, espèce de sac de merde ! » s’exclama Maleverer en avançant vers le geôlier qu’il dominait de toute sa hauteur. Radwinter recula d’un pas et, pour la première fois, il eut l’air effrayé.
« Je ne sais rien, sir William, je le jure. »
Pendant cette altercation, je vis le médecin faire ingurgiter une nouvelle lampée de bière à Broderick, ce qui eut pour effet un nouveau haut-le-cœur, suivi d’un rejet de liquide jaune.
« Tout est sorti ? demanda Maleverer au médecin.
— Il me semble. Le soldat a été bien inspiré de le faire vomir tout de suite.
— Puis-je examiner la cellule ? demandai-je à Maleverer.
— Pourquoi donc ?
— Je n’en sais rien. Seulement… Si maître Radwinter est sorti dix minutes avant que Broderick tombe par terre, celui-ci n’aurait-il pas pu avaler quelque chose de son plein gré ?
— Il n’y a rien dans la cellule ! rétorqua Radwinter. Elle est fouillée tous les jours. Et où se procurerait-il du poison ?
— Eh bien ! regardez, si ça vous chante », répondit Maleverer d’un ton las.
J’entrai dans la cellule vide, le regard fixé sur le sol dallé, maculé de vomi. Fronçant les narines pour atténuer l’odeur, je marchai de long en large, à la recherche de quelque chose d’insolite, n’importe quoi, sous le regard de Maleverer et de Radwinter qui, semblables à deux sombres corbeaux, se tenaient dans l’embrasure de la porte.
Il n’y avait rien sur le sol, à part l’écuelle de bois de Broderick, sa cuiller et son gobelet, désormais vides. Le Dr Jibson pourrait les emporter pour les examiner une fois de plus, même si son analyse ne servait pas à grand-chose. Pour tout mobilier il y avait un tabouret, le lit et un pot de chambre vide. J’enlevai du lit les couvertures tachées et tâtai le matelas de paille.
Soudain j’aperçus quelque chose de blanc, coincé entre le lit et le mur. Je l’attrapai.
« Qu’est-ce que c’est ? demanda Maleverer d’un ton sec.
— Un mouchoir. » À mon grand étonnement, il s’agissait d’un mouchoir de femme plié en quatre, fin et bordé de dentelle.
« C’est tout ? »
Désagréable au toucher, il était rigide et souillé de taches sombres. Je pris mon propre mouchoir, le posai sur le lit, puis plaçai dessus le mouchoir plié.
« Je vais l’examiner de plus près dehors », murmurai-je. Je le portai avec précaution jusqu’à la porte, m’emparant du tabouret au passage. Broderick était affalé sur la chaise, apparemment inconscient, le Dr Jibson penché au-dessus de lui. Je m’éloignai un peu dans le corridor, posai mon mouchoir sur le tabouret et le dépliai. Nous nous penchâmes tous les trois au-dessus du mouchoir de femme.
« Alors quoi ? fit Maleverer. Il a gardé ceci en souvenir de quelque dame…
— Il n’avait pas de mouchoir, déclara Radwinter, plissant le front d’étonnement. On l’a fouillé quand on l’a emmené au château et à nouveau quand on l’a transféré ici. Il n’a jamais eu de mouchoir. Il n’a eu aucun visiteur qui aurait pu le lui apporter. Et sûrement pas de visiteuse. »
Je me penchai plus près pour étudier les taches. « Vous avez dit qu’il a été fouillé lorsqu’on l’a emmené du château jusqu’ici ? demandai-je à
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