Serge Fiori : s'enlever du chemin

construction de la salle,
sa grandeur et sa hauteur. Les tests de son durent des heures, et même si Locat joue plus fort que tout le monde, il
porte des écouteurs pour mieux s’entendre   ; Serge l’appelle affectueusement le mad scientist .
    Le groupe, par l’entremise de Louis, demande à Monique si elle veut se joindre à l’équipe pour la tournée qui
s’amorce. Elle manque de confiance en elle et se demande
si elle sera à la hauteur, mais accepte tout de même avec
enthousiasme. Monique, qui en avait rêvé, pourra jouer
du piano en chantant sur Le corridor . Elle réalise toutefois
qu’elle devra aussi remplacer Estelle à la voix sur Comme
un sage. C’est tout un défi pour la chanteuse, qui espère
produire quelque chose d’aussi singulier et d’aussi unique
que ce qu’Estelle et Serge ont réalisé sur l’album.
Tournée hybride
    Cette tournée hybride, au cours de laquelle le groupe
présente l’ancien matériel autant que celui de l’heptade, s’amorce pour de bon en novembre. Elle commence dans
le Bas-Saint-Laurent – le soir du premier concert, une belle neige blanche tombe sur la nuit – pour se terminer au
Nouveau-Brunswick.
    Dans le Québec des années 1970, la vie de tournée est
loin d’être aussi glamour et romantique que ce que nous
présente Hollywood   ; limousines et hôtels de luxe cèdent
plutôt la place à de vieilles fourgonnettes douteuses et à
des motels deux étoiles.
    Avec ce nouveau registre de chansons, Serge perd une
partie importante de sa présence sur scène   : il ne peut plus
raconter d’anecdotes, improviser entre les chansons, parler
à son auditoire. Comme il est un conteur né, les nouvelles
contraintes scénographiques imposées par l’heptade l’amputent d’un rôle qu’il adorait endosser.
    Pour cette nouvelle tournée, si le groupe s’est élargi, il
en va de même pour l’équipe technique. Forcés de vivre
ensemble au quotidien, les membres de l’équipe de tournée voient la promiscuité s’installer, et elle ne sied pas à
tous   ; des conflits naissent ou s’intensifient, les différences se font sentir et les musiciens eux-mêmes ne font plus
preuve de la même patience que lors des tournées antérieures au sein des petites équipes. La machine en place
pour l’heptade est gigantesque, lourde, et exige une logistique serrée, une grande discipline et la disponibilité de chacun. Les horaires de sommeil de Serge entravent parfois
les activités du groupe. À titre d’exemple, au lendemain
d’un spectacle à Mont-Laurier, l’équipe profite d’une journée de congé avant de se produire à Rouyn. Peu enclins à
gaspiller cette journée sur la route, tous conviennent de
se lever tôt, à sept heures, pour prendre le petit déjeuner
et filer rapidement vers Rouyn afin de profiter de ce rare
congé là-bas. Serge, bien sûr, n’est pas au rendez-vous, et
Robert Cadieux, le directeur de tournée, patiente jusqu’à
dix heures avant de téléphoner à sa chambre pour le réveiller. Peine perdue. Robert rappelle toutes les heures et
ce n’est qu’à quinze heures que Fiori daigne enfin se lever. Les autres sont furieux, et pour le punir, on lui impose
de conduire lui-même jusqu’à Rouyn, ce que fera Serge,
un peu malgré lui, mais conscient du désagrément qu’il a
causé aux autres. Ces anecdotes, lorsqu’elles se répètent,
sont bien sûr propices à nourrir les rancunes et les conflits
dans un groupe qui vit pratiquement en vase clos plusieurs
mois par année.
    Malgré ces dissensions internes, le public est au rendez
vous aux spectacles et en redemande. Tous les soirs, dans
toutes les villes, le groupe joue à guichet fermé   ; souvent,
même, la salle contient davantage de gens qu’elle n’est
autorisée à le faire. Le succès d’Harmonium ne se dément
pas   : on adule de plus en plus le groupe. Monique Fauteux
ne cesse d’être impressionnée par la réponse enflammée
du public. «   Serge possède un tel charisme   ! Il exerce une
véritable fascination sur les autres, il joue sur leurs émotions. Même les anglophones, qui ne comprenaient pas les
paroles des chansons, il les charmait   ; les gens l’adoraient.
Je me souviens du regard de ceux qui venaient nous voir
après les spectacles. Bien sûr, ils avaient apprécié la performance du groupe, mais au-delà de ça, c’est Serge qu’ils
adoraient, c’est lui qui tenait tout ça, par sa seule présence.
Encore