Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
fortuné.
Il fallait vite constituer et former une équipe pour nous aider. Garcet repéra une vingtaine de sous-officiers confirmés venant de divers régiments, dont le mien, et affectés pour ordre à la compagnie de QG de la division. Ils attendaient d’être ventilés dans d’autres unités non parachutistes. Comme ils étaient inactifs, je demandai à Massu de me les affecter. Il accepta sous réserve que j’obtienne l’accord des intéressés.
Je les fis rassembler pour leur expliquer que s’ils acceptaient de travailler avec moi, ils auraient à mener des actions brutales, qu’ils n’avaient rien à espérer de cette mission temporaire à l’issue de laquelle, de toute manière, ils quitteraient les paras. Et tous acceptèrent de me suivre.
Parmi ces hommes, deux gradés m’étaient obligés : l’adjudant-chef Barrat et le sergent - chef Fontaine, qui avaient été mêlés à une bagarre avec des civils à Philippeville. Je leur avais évité des ennuis en intervenant auprès de Mayer. Il y avait André Orsoni, un homme d’une discrétion absolue, qui était décoré de la Légion d’honneur, ce qui est rare pour un sous-officier et suppose de retentissants exploits. Je me souviens aussi d’Averinos, un légionnaire d’origine grecque.
L’ex-fellagha Babaye, un colosse du Sud-Constantinois, vint compléter ce petit groupe. Il avait été pris dans l’Aurès par mes hommes de Philippeville, pendant que j’étais à l’hôpital. Babaye était derrière un rocher et se défendait comme un lion contre les parachutistes. Il était trop loin pour qu’on puisse le déloger à la grenade.
N’ayant plus de munitions, il sortit de sa cachette, les bras levés.
— Mais c’est un « babaye 61 » ! Qu’est-ce qu’il fout là ?
En l’interrogeant, les hommes de mon groupe de renseignements le trouvèrent sympathique. Il venait de la région de Biskra où beaucoup d’Africains étaient employés comme masseurs dans les établissements de bains et traités à peu près comme des esclaves.
— Pourquoi tu es avec les fels ?
— Ils ne m’ont pas demandé mon avis.
— Tu ne veux pas venir avec nous ?
— Pourquoi pas, je m’en fous.
Babaye travailla avec moi pendant toute la bataille d’Alger.
J’utilisais des correspondants. L’un d’entre eux, que j’avais infiltré au sein du FLN, servait d’agent de liaison à Yacef Saadi. C’est grâce à lui que, bien après mon départ, Yacef Saadi put être arrêté, ce qui entraîna la mort d’Ali la Pointe et la fin de la bataille d’Alger.
Certaines nuits, je m’absentais sans explications et Garcet prenait alors la direction du groupe. Aucun des hommes ne savait que je disposais d’une seconde équipe, composée notamment de Pierre Misiry, Maurice Jacquet, Yves Cuomo et Zamid l’instituteur. Le fait d’utiliser deux groupes qui ne se connaissaient pas offrait une garantie au cas où une autorité pointilleuse aurait voulu enquêter sur nos étranges activités nocturnes.
Deux mille léopards
Au départ, le système mis au point par Massu relevait de l’improvisation. Mais il fut bientôt organisé. L’exploitation du fichier d’Arnassan me permit de dresser des listes de suspects et de faire procéder à des arrestations massives. Les interrogatoires nous donnaient de nouveaux noms et mon propre fichier fut vite recoupé par d’autres informations, principalement celles de Roger Trinquier.
La passion affichée de cet officier pour l’épopée napoléonienne allait beaucoup lui servir dans cette nouvelle mission. Il disait, en effet, avoir été frappé par le fait que Napoléon, pour administrer les villes rhénanes qu’il avait conquises, avait commencé par s’occuper de la numérotation des maisons et du recensement de leurs habitants. Trinquier eut l’idée de procéder de la même manière à Alger.
Policiers, gendarmes, CRS et parfois hommes de troupe furent affectés à cette tâche dans le cadre du Détachement de protection urbaine (DPU). Sous le contrôle des officiers affectés à l’état-major préfectoral, des listes nominatives étaient établies. On s’adressait à l’habitant le plus ancien qui donnait les noms des autres occupants de la maison. Ces informations étaient recoupées avec les déclarations des voisins. Les absents devenaient ainsi des suspects. À leur retour, ils étaient systématiquement interrogés. Les résultats obtenus, comparés avec tes renseignements de
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