Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
les pouvoirs de police de la préfecture d’Alger. Teitgen était connu de Massu et de tous les parachutistes comme l’homme qui avait fait expulser d’Algérie le général Faure 53 .
Faure était un patriote mais, pendant la guerre, il avait refusé de se rallier à de Gaulle. Plus original : il était même passé à Londres pour le lui dire. Vichy, constatant l’attitude viscéralement anti-allemande de cet officier inclassable, l’avait envoyé au Maroc où il était devenu directeur de la jeunesse.
Après le débarquement allié de 1942, il avait participé à la création du 1 er RCP à partir des unités d’infanterie de l’air 54 . En Algérie, il avait exercé un commandement dans les troupes alpines.
Faure estimait que la politique militaire française contre la rébellion manquait de vigueur, et il ne faisait pas mystère de son point de vue. Paul Teitgen, informé de cette position, s’était arrangé pour installer un magnétophone dans son bureau. Il avait invité Faure et l’avait poussé à parler après avoir discrètement mis en route l’enregistrement.
Les bandes étaient inaudibles mais Teitgen en reconstitua la teneur et les envoya à Paris en demandant que le général Faure fût rappelé, mis aux arrêts de rigueur et destitué de son commandement sous prétexte d’un « complot ». Ce qu’il obtint. L’épisode avait fait le tour des garnisons. Aussi Teitgen s’était-il attiré le mépris de toute la région militaire qui n’appréciait guère qu’un membre du corps préfectoral usât de procédés de basse police à l’encontre d’un officier.
Nous nous sommes installés devant le bureau de Teitgen, qui n’était pas encore arrivé. Massu me montrale meuble qui avait dissimulé l’enregistreur et me chuchota malicieusement :
— Voyez, c’est ça le bureau du magnétophone, alors gare à ce que vous dites !
L’entretien avec le secrétaire général fut courtois mais sans chaleur. Teitgen ne s’est pas douté un seul instant de la nature réelle de ma mission. Nous nous sommes accordés sur la conduite à tenir pour les arrestations. Il était évident que la Justice allait être submergée. À l’égard des gens que nous allions interpeller, la préfecture prendrait une mesure administrative d’exception : l’assignation à résidence, sous forme d’arrêtés préfectoraux que Teitgen signerait et qui légaliseraient notre action.
Comme nous nous attendions à beaucoup d’arrestations, les prisons ne suffiraient pas. Il fut décidé que l’on installerait un camp « de triage » dans une ancienne école de la banlieue d’Alger, au lieu-dit Beni Messous. De là, les assignés à résidence seraient répartis dans d’autres camps aménagés au sud. Le plus connu était situé dans le village de Paul-Cazelles 55 .
Pour gérer le camp de Beni-Messous, Teitgen désigna un ancien avocat devenu commissaire de police, Charles Ceccaldi-Ravnaud 56 , secondé par l’officier de police Devichi. Massu, qui se méfiait de Teitgen, décida que le camp serait gardé par des soldats et dési gna un bataillon du génie composé d’appelés.
Le général m’emmena ensuite à une réunion à laquelle assistaient les commandants des régiments et les commandants de secteur, dont le général de Bollardière et le colonel Argoud. Massu harangua longuement ses lieutenants :
— Messieurs, vous ferez en sorte de reprendre les nuits d’Alger au FLN. Vous instaurerez tout d’abord un couvre-feu et vous ferez tirer sans sommations sur tous ceux qui ne le respecteront pas. Je compte sur vous pour être opérationnels vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Alors Argoud se dressa face à Massu :
— Non, mon général. Seulement vingt-trois heures quarante-cinq. Je vous demande juste un quart d’heure pour roupiller.
Les officiers éclatèrent de rire.
Je n’ai jamais revu Bollardière à ces réunions, puisque bientôt il devait prendre ses distances par rapport aux méthodes utilisées par la 10 e DP à Alger et faire des déclarations hostiles à l’utilisation de la torture 57 . Je ne suis pas sûr que ce problème ait été la seule raison de la soudaine hostilité de Bollardière à l’égard de Massu. Je le connaissais bien, « Bolo », puisqu’on Indochine, en 1951, j’avais été son second à la demi-brigade coloniale de Cochinchine. On disait qu’entre lui et Massu existait une rivalité personnelle qui remontait à la prise
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