Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
arrêtez. On est bien obligé de se dire, hélas, que plus tard, on entendra de nouveau parler de certains d’entre eux. Ils seront peut-être même devenus des gens importants, vous comprenez. Alors, il faut être prévoyant. Pourriez-vous nous donner des listes de noms avec des fiches ?
Garcet et moi, nous nous regardâmes, interloqués.
— Mais bien volontiers, mon colonel, répondis-je avec un large sourire. Bien volontiers.
Je venais d’avoir une idée.
Le lendemain, quand je revis Massu, je lui annonçai que j’avais trouvé un travail pour Le Mire. Nous allâmes le voir avec Garcet pour lui expliquer ce qu’il aurait à faire avec son adjoint Graziani, s’il voulait enfin participer pleinement à la bataille.
— Alors, il paraît que tu t’emmerdes et que tu voudrais te rendre utile ? dis-je à Le Mire.
— Ah, oui. Ça, c’est vrai, qu’est-ce qu’on s’emmerde ! fit Graziani.
— Ça tombe bien, parce que j’ai justement une mission pour vous.
— Formidable !
— C’est très simple : on va vous apporter les listes complètes des gens que nous arrêtons. Vous les recopierez pour les remettre à la sécurité militaire. Mais il ne faudra pas vous tromper : il y a plusieurs catégories de suspects arrêtés.
— Ah bon, et lesquelles ? demanda Le Mire.
— Il y a des suspects qu’on ne garde pas. On ne peut pas garder tout le monde, tu comprends ?
— Comment ça ?
— On ne les garde pas prisonniers.
— Et ils sont où ?
— Ils sont morts.
— Ah oui, je comprends.
— Alors, pour que ru ne risques pas de te tromper, pour ceux qui sont morts, on mettra une indication devant le nom. On ne mettra pas M : ce serait trop voyant. On mettra L. L comme libérés. Tu comprends ?
— Je comprends. Mais ceux qui ne sont pas morts et qui sont véritablement libérés ?
— Eh bien, on mettra E. E comme élargis.
Le Mire et Graziani sont restés tranquilles quelque temps, absorbés par leur travail.
Jean Graziani était désespéré car les paperasseries n’étaient pas son fort. À ce pensum, il aurait sûrement préféré un peu d’action. Ce pied-noir d’origine corse, soldat dans les SAS en Angleterre, parachuté en France, avait servi en Indochine comme officier au 3 e bataillon de parachutistes coloniaux qui avait été décimé sur la RC4. Ses quatre ans de captivité chez les Viets ne l’avaient pas rendu tendre. Il fut affecté en 1956 au 6 e RPC qui était stationné au Maroc.
Dans sa garnison marocaine, le parti communiste avait une jolie maison qu’une bombe ne tarda pas à réduire en cendres. Graziani vint expliquer triomphalement à Romain-Desfossés, son colonel, qu’il était l’auteur de ce joli coup. Romain-Desfossés fronça le sourcil et lui demanda de ne pas recommencer. Mais les communistes reconstruisirent leur villa et Graziani prit cela pour une provocation. Il la fit donc sauter une deuxième fois.
Pour le coup, Romain-Desfossés dut téléphoner à son ami Massu 66 pour lui envoyer le turbulent officier.
C’est ainsi que Graziani avait été affecté au 2 e bureau où, privé d’action, il s’étiolait auprès de Le Mire.
Le colonel chargé de la sécurité militaire revint bientôt nous voir à la préfecture avec un air perplexe. Garcet essayait de se cacher pour mieux rire sous cape.
— Dites donc, fit le colonel, je ne comprends plus rien. Le Mire et Graziani m’ont apporté une liste de noms. Mais je crois qu’ils sont devenus fous. Sur cette liste, la plupart des suspects sont déclarés élargis. Je me demande bien pourquoi. D’autant que ceux qui ne sont pas élargis sont libérés. J’ai demandé des explications, mais ils se sont embrouillés. L’un disait que vous aviez demandé de déclarer élargis tous ceux qui étaient morts et l’autre prétendait que vous aviez dit de les déclarer libérés. Ce n’est pas logique.
— Vous avez raison : ce n’est pas logique. Il doit y avoir un malentendu, fis-je avec le plus grand sérieux.
Le bazooka
La nuit du 16 au 17 janvier 1957, j’étais sorti avec mes hommes, à mon habitude. Pendant ma tournée des régiments, je me rendis à la villa Sésini, centre de commandement du 1 er régiment étranger de parachutistes. C’était Borniol qui était de permanence. Tel était le surnom du lieutenant Jean-Marie Le Pen, chef de section d’une des compagnies de combat. Ce surnom lui venait d’une besogne funèbre dont on
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