Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
qui nous couvrait et qui avait une exacte connaissance de ce qui se passait la nuit. J’entretenais les meilleures relations possibles avec lui et je n’avais rien à lui cacher.
Si la torture a été largement utilisée en Algérie, on ne peut pas dire pour autant qu’elle se soit banalisée. Entre officiers, nous ne parlions pas de ça. D’ailleurs, un interrogatoire n’aboutissait pas nécessairement à une séance de torture. Certains prisonniers parlaient très facilement. Pour d’autres, quelques brutalités suffisaient. Ce n’était que dans le cas où le prisonnier refusait de parler ou essayait de nier l’évidence que la torture était utilisée. Nous faisions tout pour éviter aux jeunes cadres d’avoir à se salir les mains. Beaucoup en auraient d’ailleurs été absolument incapables.
Les méthodes que j’ai employées étaient toujours les mêmes : coups, électricité, eau. Cette dernière technique était la plus dangereuse pour le prisonnier. Cela durait rarement plus d’une heure, d’autant que les suspects, en parlant, espéraient avoir la vie sauve. Donc ils parlaient vite ou jamais.
Pour rassurer ses hommes, Massu avait tenu à être lui-même torturé à l’électricité. En un sens il avait raison : ceux qui n’ont pas pratiqué ou subi la torture peuvent difficilement en parler. Mais il n’était pas fou : il avait soigneusement choisi ses bourreaux parmi ses plus zélés courtisans. Si c’était moi qui l’avais torturé, je lui aurais appliqué exactement le même traitement qu’aux suspects. Il s’en serait souvenu et il aurait compris que la torture, c’est encore plus déplaisant pour celui qui est torturé que pour celui qui torture.
Je ne crois pas avoir jamais torturé ou exécuté des innocents. Je me suis essentiellement occupé de terroristes impliqués dans les attentats. Il ne faut pas oublier que, pour chaque bombe, qu’elle ait explosé ou pas, il y avait le chimiste, l’artificier, le transporteur, le guetteur, le responsable de la mise à feu. Jusqu’à une vingtaine de personnes à chaque fois. Dans mon esprit, pour chacun de ces participants, la responsabilité était écrasante, même si les intéressés estimaient la plupart du temps n’être que les maillons d’une longue chaîne.
Il était rare que les prisonniers succombent à un interrogatoire, mais cela arrivait. Je me souviens d’un homme, un musulman d’une quarantaine d’années, très maigre, qui avait été arrêté par mon régiment sur dénonciation. Apparemment, il avait l’allure d’un honnête ouvrier. L’homme était soupçonné de fabriquer des bombes et tous les indices concordaient pour établir sa culpabilité. Mais, naturellement, il niait tout en bloc. Il se disait tuberculeux et prétendait qu’il aurait été incapable de fabriquer une bombe, qu’il ne savait même pas ce que c’était.
Il bénéficiait effectivement d’une pension à cause d’une maladie pulmonaire, mais il ignorait qu’en perquisitionnant chez lui nous avions trouvé de la schneidérite 73 et son livret militaire. Le document indiquait que pendant son service, effectué comme soldat appelé dans le génie, il avait été artificier. Ainsi, la dérive du système avait amené l’armée française à former un technicien en explosifs qui opérait en toute quiétude, subventionné par l’Assistance publique.
Je n’ai pas eu recours à la torture. Je lui ai juste montré le livret en lui demandant si c’était bien le sien.
En voyant ce document, l’homme eut un sursaut. Il finit par avouer qu’il lui était arrivé, occasionnellement, de fabriquer des bombes mais qu’il ne le faisait plus. Je lui montrai les produits qui avaient été trouvés chez lui. Il me dit qu’il n’était qu’un ouvrier, qu’il n’était pas concerné par ce que les engins devenaient après qu’il les avait fabriqués, qu’il ne faisait pas de politique. Ce n’était pas lui qui amorçait les bombes ni qui choisissait les cibles. Il n’avait aucune part de responsabilité. Là, j’en savais assez pour qu’il soit exécuté et j’aurais préféré que l’interrogatoire s’arrête.
Mais je voulais savoir avec qui il était en contact, qui lui donnait des ordres et quel était l’objectif des bombes qu’il venait de préparer. Des indices montraient qu’il connaissait plusieurs responsables, qu’il avait des informations sur les cibles choisies.
L’interrogatoire avait lieu dans un
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