Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
avec le général Lorillot. Lorsque le gouvernement a su que ces hommes iraient en avion du Maroc en Tunisie, il a ordonné à la chasse d’Oran d’abattre l’appareil. Si nous avons annulé cet ordre, c’est qu’au dernier moment nous avons appris que l’équipage de l’avion était français. Pour le gouvernement, il est regrettable que Ben Bella soit encore vivant. Son arrestation est une bavure. Nous devions le tuer.
Massu avait compris ce que Max Lejeune voulait dire. Il nous convoqua immédiatement, Trinquier et moi . Lorsqu’il nous raconta cette anecdote, ce fut également très clair pour moi : j’allais avoir douze hommes de plus à exécuter la nuit suivante. J’aurais pu laisser cette pénible besogne à Bigeard mais j’ai préféré m’en occuper avec les sous-officiers de ma première équipe.
Quand il a fallu tuer ces prisonniers, nous n’avons pas douté un instant que nous exécutions les ordres directs de Max Lejeune, du gouvernement de Guy Mollet et de la République française.
Il était rare que les prisonniers interrogés la nuit se trouvent encore vivants au petit matin. Qu’ils aient parlé ou pas, ils étaient généralement neutralisés.
Il était impossible de les remettre dans le circuit judiciaire. Ils étaient trop nombreux et les rouages de la machine se seraient grippés. Beaucoup d’entre eux ocraient passés au travers des mailles du filet.
J’étais bien placé pour le savoir, puisque, chaque matin, j’allais au camp principal de Beni-Messous où, comme je l’ai dit, je rencontrais le commissaire Ceccaldi-Raynaud et son adjoint, l’officier de police Devichi. Là, il fallait opérer un nouveau tri. Parmi les assignés à résidence, quelques-uns étaient dirigés vers le circuit judiciaire. C’était de mon ressort et ça se décidait dans la journée.
Plus de vingt mille personnes sont passées par ce camp : trois pour cent de la population de l’agglomération d’Alger. Comment confier tous ces gens à la Justice ?
Au cours d’une de ces visites, Devichi m’avait signalé un prisonnier qui n’avait pas été interrogé et qu’il soupçonnait d’avoir des responsabilités au FLN. Le suspect s’était rendu compte que nous parlions de lui et je vis qu’il était pris de panique. Il fut cependant convenu avec Devichi que je m’en occuperais plus tard.
Après mon départ, le prisonnier s’est présenté à l’officier de police et s’est accusé de plusieurs assassinats. De ce fait, il a été régulièrement incarcéré à la prison d’Alger et présenté au juge d’instruction auquel il a raconté une histoire invraisemblable. Au bout du compte, les vérifications effectuées, on ne pouvait retenir contre ce suspect qu’un délit d’outrage à magistrat et il fut libéré. Ainsi, en s’accusant de meurtres qu’il n’avait pas commis, il avait réussi à échapper au camp.
Sans notre action, le système judiciaire aurait vite été paralysé par ce genre de subterfuge. De ce fait, nombre de terroristes auraient recouvré la liberté et commis d’autres attentats.
Quand bien même la loi aurait été appliquée avec toute sa rigueur, peu de gens auraient été exécutés. Le système judiciaire n’était pas fait pour des circonstances aussi exceptionnelles. Même si Mitterrand, maintenant ministre de la Justice, avait confié les dossiers concernant les actes de terrorisme en Algérie aux tribunaux militaires, cela ne suffisait pas.
Envoyer les prisonniers coupables d’assassinat dans des camps en attendant que la Justice s’en occupe était rout aussi impossible : beaucoup se seraient évadés au cours des transferts, avec la complicité du FLN.
Par conséquent, les exécutions sommaires faisaient partie intégrante des tâches inévitables de maintien de l’ordre. C’est pour ça que les militaires avaient été appelés. On avait instauré la contre-terreur, mais officieusement, bien sûr. Il était clair qu’il fallait liquider le FLN et que seule l’armée avait les moyens de le faire. C’était tellement évident qu’il n’était pas nécessaire de donner des ordres dans ce sens à quelque niveau que ce soit. Personne ne m’a jamais demandé ouvertement d’exécuter tel ou tel. Cela allait de soi.
Quant à l’utilisation de la torture, elle était tolérée, sinon recommandée. François Mitterrand, le ministre de la Justice, avait, de fait, un émissaire auprès de Massu en la personne du juge Jean Bérard
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