Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
matin, je me suis rendu au PC de Bigeard, à El-Biar, pour rencontrer Ben M’Hidi. Bigeard était avec son adjoint Lenoir. On fit venir le chef du FLN.
Un soldat apporta du café au lait pour tout le monde.
Bigeard voulait me prouver qu’il avait la situation en main et qu’il avait gagné la confiance de son prisonnier.
L’atmosphère se voulait très détendue, mais Bigeard était nerveux. Il savait qu’il devait me convaincre que Ben M’Hidi était prêt à collaborer. Ça n’avait aucun sens, puisque les ordres étaient de liquider les chefs du FLN et que j’étais là pour ça. Je pensais que Bigeard perdait les pédales.
— Alors Ben M’Hidi, qu’est-ce que tu penses de mon régiment ?
– Je pense qu’il vaut bien trois cent mille hommes, fit l’autre en souriant.
— Et ton arrestation, tu en penses quoi ?
Ben M’Hidi ne savait pas quoi répondre. Bigeard décida d’abattre une dernière carte. Il précisa sa question :
— Tu n’as pas comme l’impression d’avoir été trahi ?
— Et par qui j’aurais été trahi ?
— Eh bien, par tes camarades du CCE. Après tout, les autres sont kabyles, alors que toi, tu es un Arabe.
Ben M’Hidi comprit que Bigeard voulait lui sauver la vie. Il eut un sourire désolé.
— Je n’ai pas été trahi, mon colonel.
Bigeard perdit légèrement son sang-froid.
— Alors, tu penses que nous avons fait comment pour t’avoir ?
— Vous avez eu de la chance, c’est tout.
La vérité, c’était que nous avions pris en filature le fils du milliardaire Ben Tchicou, qui avait une énorme affaire de tabac à Alger et gérait l’argent du FLN. Arrêté, Ben Tchicou junior avait déballé tout ce qu’il savait, dont l’adresse de Ben M’Hidi.
Bigeard essaya encore de tendre une perche au prisonnier :
— Et pourquoi ne pas travailler pour nous ? Si tu te rapprochais de la France, tu ne crois pas que ça pourrait être utile à ton pays ?
— Non, je ne crois pas.
— Eh bien, tu penses ce que tu veux, mais moi je crois à une plus grande France, conclut Bigeard en haussant les épaules.
Ben M’Hidi ne souhaitant pas collaborer, Bigeard ne pouvait ignorer les conséquences de ce refus.
Les hommes de la PJ, Parat et Gévaudan, le voulaient absolument. Mais Bigeard refusait catégoriquement de le livrer à ces policiers, pensant qu’ils l’auraient certainement torturé. Parat disait que l’on pouvait inculper Ben M’Hidi pour le meurtre d’adversaires du FLN dans l’Ouest algérien. Aurait-il avoué ? Nous savions que Ben M’Hidi, ès qualités, était le responsable de la plupart des attentats. Il méritait l’échafaud, et plutôt dix fois qu’une. Cependant, il n’était pas certain qu’il soit condamné.
Le 3 mars 1957, nous en avons longuement discuté avec Massu en présence de Trinquier. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un procès Ben M’Hidi n’était pas souhaitable. Il aurait entraîné des répercussions internationales. D’autre part, il fallait gagner du temps. C’était tout le CCE que nous espérions épingler. Ben M’Hidi n’avait pas trahi ses camarades mais nous avions trouvé de précieuses informations dans les papiers découverts chez lui.
— Alors qu’en pensez-vous ? me demanda Massu.
— Je ne vois pas pourquoi Ben M’Hidi s’en tirerait mieux que les autres. En matière de terrorisme, je ne suis pas plus impressionné par le caïd que par le sous-fifre. Nous avons exécuté plein de pauvres diables qui obéissaient aux ordres de ce type, et voilà que nous tergiversons depuis bientôt trois semaines ! Juste pour savoir ce que nous allons en faire !
— Je suis entièrement d’accord avec vous, mais Ben M’Hidi ne passe pas inaperçu. On ne peut pas le faire disparaître comme ça.
— Pas question de le laisser à la PJ. Ils se font fort de le cuisiner pour le faire parler mais je l’ai vu et je suis sûr qu’il ne dira rien. S’il y a un procès et qu’il n’a rien avoué , il risque de s’en sortir et tout le FLN avec lui.
Alors, laissez-moi m’en occuper avant qu’il ne s’évade, ce qui nous pend au nez si nous continuons à hésiter.
— Eh bien, occupez-vous-en, me dit Massu en soupirant. Faites pour le mieux. Je vous couvrirai.
Je compris qu’il avait le feu vert du gouvernement.
C’est moi qui ai récupéré Ben M’Hidi la nuit suivante à El-Biar. Bigeard avait été prévenu que je prendrais en charge son
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