Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
petit hangar désert. Je ne disposais que d’un robinet et d’un tuyau d’arrosage. L’homme était assis sur une chaise et moi j’étais assis en face de iui.
Il me fixa droit dans les yeux, avec un petit sourire de défi.
Lorsque j’ai compris qu’il ne voulait pas parler, j’ai décidé d’avoir recours à l’eau et j’ai fait signe à mes hommes : ils lui lièrent les mains derrière le dos et lui enfoncèrent le tuyau dans la bouche. L’homme suffoqua et se débattit. Il ne voulait toujours pas parler. Il se doutait bien qu’on l’exécuterait de toute façon et, tant qu’à faire, il ne trahirait personne. Il avait dû se préparer depuis longtemps à cette situation, comme moi, autrefois, quand je partais en mission. Mais je ne m’en étais jamais pris à des civils, je ne m’en étais jamais pris à des enfants. Je combattais des hommes qui avaient fait des choix.
Je ne voulais pas lui promettre qu’il aurait la vie sauve. Ce n’était pas vrai. Même si je le libérais, il était foutu. Il n’avait donc rien à perdre.
Je repensai à Philippeville, aux prêtres qui étaient revenus de la mine d’El-Halia et qui pleuraient. Pourtant, ils en avaient vu d’autres. Nous avions dû leur donner du whisky pour qu’ils retournent ramasser les morceaux d’enfants dans l’espoir de reconstituer les corps sur des draps.
— On lui met le mouchoir ?
— Mettez-lui le mouchoir. Mais allez-y doucement.
Un sous-officier lui mit le tissu sur le visage. Un autre l’arrosa avec de l’eau pour empêcher l’air de passer. Ils attendirent quelques secondes.
Quand on retira le mouchoir, l’homme était mort.
Je sortis pour aller chercher le médecin, avec lequel je m’entendais bien. Nous avions été dans le même lycée à Bordeaux.
— Je parlais avec ce prisonnier et il a eu un malaise, lui dis-je sans conviction. Il m’a dit qu’il était tuberculeux, Tu peux le soigner ?
— Tu parlais avec lui ! Il est trempé. Tu te fous de ma gueule ?
— Je ne me permettrais pas.
— Mais il est mort !
— Ça se peut, fis-je d’une voix sans timbre. Mais quand je suis venu te chercher, il était encore en vie.
Comme il insistait, j’ai fini par exploser :
— Et alors ? Tu veux que je te dise que je l’ai tué ? Ça t’arrangerait que je te dise ça ? Tu crois que ça nie lait plaisir ?
I – Non, mais pourquoi tu es venu me chercher puisqu’il est mort ?
Je ne répondis rien.
Le toubib finit par comprendre. Si je l’avais appelé, L’était simplement parce que je voulais qu’il envoie le ivpe à l’hôpital, qu’il me débarrasse de ce corps que je ne voulais plus voir.
Ben M’Hidi
À Alger, dans l’après-midi du dimanche 10 février 1957, deux terribles déflagrations retentirent à quelques minutes d’intervalle. En plein match deux bombes avaient disloqué les tribunes du stade municipal et du stade d’El-Biar, faisant onze morts et cinquante-six blessés graves, mutilés pour la plupart.
Le lendemain, au mo ment où l ’ on exécutait Fernand Iveton, Massu nous prit à partie, Trinquier et moi, comme si nous étions à l ’ origine de l’attentat :
— Qu’est-ce que j’apprends encore, bande de salauds : cette fois vous m’avez foutu des bombes !
Massu s’exprimait de manière synthétique. Nous étions là pour éliminer le FLN. Donc, s’il y avait des bombes, c’était notre faute. Nous comprenions d’ailleurs notre mission de la même manière. D’où l’absence d’états d’âme pour l’accomplir.
C’es attentats renforcèrent notre détermination et, moins d’une semaine plus tard, dans la nuit du 15 au 16 février, Ben M’Hidi fut arrêté. Nous avions obtenu son adresse, qui relevait du secteur du régiment Bigeard, le 3 e RPC, et c’est Jacques Allaire, l’officier de renseignements de cette unité, qui s’était chargé de l’opération. Cette information capitale resta secrète pendant une semaine.
Ben M’Hidi était, sans aucun doute possible, le commanditaire de tous les attentats et le principal protagoniste de la bataille d’Alger en sa qualité de numéro un du CCE (Comité de coordination et d’exécution) créé pour remplacer l’équipe de Ben Bella.
Bigeard mit son prisonnier en confiance et le traita avec égards.
Ils bavardèrent des nuits entières en tête à tête, buvant du café. Bigeard eut l’idée d’exploiter la rivalité ancienne qui opposait Ben M’Hidi et Ben
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