S'il est minuit dans le siècle
invisible et comme superflue.
Elkine dit :
– Le rapport du camarade Ryjik sur la fête du printemps
boréal est adopté sans débats à l’unanimité, moins une voix, la mienne. Je fais
des réserves doctrinales. Je passe à l’ordre du jour. Rapport sur l’isolateur
de Verkhnéouralsk, question agraire, le front unique en Allemagne. Vous avez la
parole, Varvara.
De 45, en quelques mois, le secteur communiste de gauche
de la centrale de réclusion de Verkhnéouralsk a passé à 96, accroissement d’effectif
de plus de 100 % dû aux arrestations opérées dans les grands centres à la
veille du XVI e anniversaire de la révolution d’Octobre. Par contre, le
secteur communiste non organisé, les bien-pensants suspects qui ne comprennent
rien à ce qui leur arrive et qui continuent les pires platitudes, a passé dans
le même laps de temps de 8 à 160, soit un accroissement d’effectif de 1 à 20
qui nous indique la courbe ascendante de la répression exercée contre les
éléments instables de la bureaucratie dirigeante. Ces deux chiffres, le premier
étant l’indice de la résistance de l’avant-garde prolétarienne consciente à la
dictature bonapartiste et le second celui de la liquidation précipitée du parti,
démontrent ensemble…
Que démontrent-ils ensemble, ces chiffres, que chacun ne
sache déjà ? On ne vit que de le savoir, on est ici pour cette raison et
de le savoir on a trouvé cette façon lente de crever. La révolution révèle un
visage faux qui n’est plus le sien. Elle se réfute, se nie, nous abat, nous tue.
Tu le vois ; mais peux-tu le croire ? Nous nous sentions
infailliblement victorieux. Où est l’erreur ? Tout ce que nous aimions n’est
plus qu’apparence exécrable. Je demande que l’on pèse la thèse et l’antithèse ;
que chaque mot soit médité. Prenez garde à ne point méconnaître la dictature du
prolétariat, si elle est malade, si elle perd la tête, si elle est inique. – Défie-toi
de toi-même, camarade. Tes illusions s’expliquent bien, mais tu te grises de
mots. Sommes-nous des Enragés, des Égaux ou des proscrits de Prairial ? – Laisse
tomber, vieux, tes analogies historiques : elles n’ont rien à voir avec le
marxisme. C’est le « qui l’emportera » de Lénine qui est d’actualité :
ça n’est pas réglé.
– À ce propos, camarades, je demande une suspension de
séance de trois secondes pour la dernière révélation de Karl (paix à son âme de
révolutionnaire : son corps pourrit tout doucement dans les water-closets
du Secrétariat général). Le « qui l’emportera » dit Karl, on le sait
depuis longtemps. Le « qui l’emportera dans la tombe », on le sait
aussi. Mais « à quand Son tour ? » voilà ce qu’on ne sait pas…
« … Le secteur de la gauche communiste de la prison a
noué des contacts fraternels avec les anarchistes qui se sont solidarisés avec
lui pendant la deuxième grève de la faim de l’an passé et la première de cette
année. La grève de juin a été perdue par suite d’une faute de calcul ; le
scorbut avait sévi pendant l’hiver, il aurait fallu tenir compte de l’affaiblissement
provoqué par les grands froids. Plusieurs copains furent très mal dès le
septième jour. Le comité de grève proposa de faire cesser la grève à titre
personnel, mais il fut lui-même enlevé dans la nuit par surprise et emmené à la
maison d’arrêt… « Enlevé ? Pourquoi n’a-t-il pas résisté ? »
Appelés séparément au greffe pour négociation, vers deux heures du matin, assaillis
dans le corridor, bâillonnés, emballés, escamotés, quoi… Le second comité, constitué
le lendemain, ne put entrer en fonctions car il fut gardé à vue dans un bâtiment
écarté. À six heures du soir, le commandant de la prison reçut par télégramme l’ordre
de recourir à l’alimentation forcée : le vieux Kikvadzé résista, on fit
venir de la maison de fous une camisole pour le maîtriser, il eut les lèvres
déchirées par la sonde alimentaire ; il s’évanouit à la fin, de sorte qu’on
ne put le nourrir. Les autres malades décidèrent de résister par la force. Alors
arriva un type de Moscou, envoyé par le Collège spécial, qui fit demander des
délégués. « Le Collège spécial du Service politique, qu’il dit, a renoncé
en ce moment à augmenter par mesure administrative les peines des libérables. Vous
avez donc satisfaction, votre grève devient sans objet. » Les
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