Souvenir d'un officier de la grande armée
place du Palais-Bourbon, en face de la Chambre des députés : elle n’était pas terminée à la déchéance de Charles X ; qu’en est-il advenu ?
Je fus souvent visiter l’église Sainte-Geneviève, pour bien connaître sa belle architecture et pour étudier la fresque que le baron Gros a peinte, dans la seconde coupole du dôme. Un groupe, dans cette fresque, devait représenter Napoléon avec Marie-Louise, le roi de Rome et les principaux guerriers, mais les invasions de 1814 et 1815 y firent substituer Louis XVIII et la Charte. La révolution, la France, le duc de Bordeaux, la guerre d’Espagne, la dauphine, entourent le roi, tenant la place des personnages qui devaient figurer autour de Napoléon. Ce fait est curieux à ajouter à l’histoire des changements qu’a éprouvés l’église Sainte-Geneviève que voici à nouveau destinée aux grands hommes.
Chaque fois que je revoyais la triomphale colonne de la place Vendôme, je restais autant de temps à la contempler que si c’eût été le premier jour. Ses bas-reliefs me rappelaient d’honorables et glorieux souvenirs. Le temps n’avait pas effacé en moi les impressions vivaces de cette célèbre campagne d’Austerlitz. La révolution de juillet fit disparaître le drapeau blanc qui s’y déployait et restaurer le drapeau tricolore sous les couleurs duquel nous avions vaincu les Autrichiens, dans cette immortelle journée en 1805.
J’avais formé le projet, avant mon arrivée à Paris, de suivre les cours des plus illustres professeurs du Collège de France et du jardin d’histoire naturelle. Je comptais sur mon bon vouloir, mais il me manqua en partie, et puis les dérangements, les visites, vingt autres obstacles s’y joignirent. Je ne fus assez exact qu’à celui de chimie, à la Sorbonne, fait par M. Thénard. C’est une indifférence que je me reproche, quand elle a été volontaire.
Un homme avait à cette époque une espèce de célébrité, que peu de personnes auraient enviées ; mais on cherchait à le voir, et je le regardais chaque fois que j’allais me promener dans les galeries du Palais Royal : c’était le Diogène de ce brillant bazar, le fameux Chodrus Duclos, de Bordeaux. Cet homme, après avoir joui d’une assez belle fortune, fait l’ornement de la bonne société et paradé sur de beaux chevaux, après s’être fait remarquer par son bon ton, son luxe de toilette, ses fréquents duels et ses nombreuses maîtresses, promenait son cynisme, sa misère, ses haillons, dans le lieu de Paris le plus hanté par les étrangers, les provinciaux et les désœuvrés. On le regardait avec étonnement, on admirait sa belle taille, sa figure expressive, ses yeux de feu, mais on détournait aussitôt la vue, tant l’abjection et le malheur de ce personnage, encore fier, attristaient. Il avait été l’ami, disait-on, du comte de Peyronnet, qui fut deux fois ministre et signa les ordonnances de juillet.
Voilà comment, pendant les premiers mois, je courus assez pour tout voir ; mais plus tard, tant par suite de mes chagrins que par ennui et lassitude, je fus moins ardent ; ma curiosité, moins vive ou satisfaite, me rendit plus indifférent, et c’est ainsi que j’ai quitté Paris sans avoir assisté à aucune séance de la Chambre des députés.
J’avais vu une grande révolution s’accomplir en trois jours : un trône renversé et un autre relevé par la volonté nationale ; un roi puissant fuir avec toute sa famille, en pays étranger, et surveillé sur sa route d’exil, pour qu’il ne s’écartât pas de l’itinéraire qui lui était tracé. J’avais vu descendre le drapeau blanc, imposé à la France par les étrangers, et reparaître après quinze années de proscription, la glorieuse cocarde tricolore. J’avais vu une superbe garde royale, belle de tenue et de discipline, bien favorisée et pleine de dévouement, se fondre, se dissoudre, et disparaître, avant même que son royal chef l’eût dégagée de ses serments. J’avais vu l’insubordination dans les troupes presque encouragée, les officiers et les soldats dénonçant leurs supérieurs ; la médiocrité, l’inconduite se faire des titres de ce qu’ils n’avaient pas été employés sous la Restauration, pour prétendre à des emplois, à des grades supérieurs, à des récompenses, par-dessus ceux qui, pendant quinze années, s’étaient dévoués au service du pays, avaient conservé les bonnes traditions de l’Empire, et
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