Spartacus
en mouvement toute l’armée des esclaves au début du printemps. Il faudra alors remonter vers le nord jusqu’au Pô. Les fugitifs récemment ralliés disent que l’armée sera accueillie par des milliers d’esclaves qui n’ont pas osé s’enfuir du Samnium, du Picenum, d’Etrurie et de la Gaule cisalpine. D’autres affirment en chœur que les plaies de la guerre sociale ne sont pas encore cicatrisées ; que des Italiens encore mal intégrés à Rome pourraient rejoindre Spartacus comme l’ont déjà fait les bergers de Lucanie. A chaque étape ils renforceraient l’armée et apporteraient le fruit du pillage des propriétés. Une fois franchi le grand fleuve du nord de l’Italie, l’armée devra encore passer les cols des Alpes. Si tout va bien, les esclaves arriveront là-bas à la fin du printemps, au moment où les passages sont facilement praticables. Ensuite, à partir du territoire des Helvètes, en marchant vers le couchant, les Gaulois pourront gagner la Gaule indépendante. Les Germains n’auront qu’à pousser vers le septentrion, en suivant la route de l’ambre, pour retrouver leurs frères de race. Les autres marcheront le long du cours du Danube vers le soleil levant. Les Thraces et les Orientaux pourront ainsi rejoindre leur patrie. C’est un beau projet qui a quelques chances de réussir. Il faut certes aller vite, car Spartacus sait bien que Rome ne s’avoue jamais vaincue et qu’elle prépare sa revanche.
Crixus et le pillage de l’Italie
Mais une partie de l’armée de Spartacus est d’un autre avis. Ces hommes qui parlent toutes les langues et n’ont plus de foyer ne se bercent pas d’illusions. Plus personne ne se souvient d’eux dans leurs patries d’origine. Aucune femme ne les attend avec des couronnes de fleurs et leurs terres sont depuis longtemps entre les mains d’autres hommes. Là où ils s’arrêteront il faudra sans doute encore combattre pour se faire une place au soleil. Spartacus en est conscient, mais il sait qu’ils doivent sortir d’Italie avant que la Péninsule ne devienne un piège. Plutarque fait également valoir que « ses soldats, forts de leur nombre et pleins d’orgueil, ne l’écoutèrent pas ; ils se répandirent dans l’Italie pour la ravager ». Nous sommes loin de la vision angélique propagée depuis longtemps sur l’aventure de Spartacus : si le personnage possède incontestablement de grandes qualités, son entourage aspire à des projets moins nobles. Comme le dit Appien avec mépris mais non sans une certaine justesse, « toutes ses forces consistaient en esclaves, en déserteurs ou en aventuriers ». Pour eux, la liberté n’est pas au-delà des Alpes, au sein d’une patrie que certains n’ont jamais connue. Leurs projets sont plus terre à terre. Ils veulent profiter du fait que la force et la peur ont changé de camp pour faire subir aux anciens maîtres les souffrances qu’eux-mêmes ont dû endurer. Le travail des dernières semaines a permis de forger un instrument de combat redoutable. Les hommes sont entraînés et avides de vengeance ; leur armement est bien meilleur que celui avec lequel ils ont écrasé les troupes de Claudius, de Furius et de Varinius. Derrière Crixus les Gaulois les plus hardis et les Germains les plus farouches en appellent au pillage de l’Italie. Ils ont pris goût à la mise à sac des villes à Nuceria, à Nola et à Thurium. On ne se prive pas facilement de l’exaltation de briser la porte d’une riche maison ; de la fièvre que l’on éprouve à en fouiller les coffres ; de l’ivresse que l’on ressent à forcer une jeune vierge parfumée sous les yeux de sa mère après avoir égorgé son père – un notable qui frappait sûrement ses esclaves. Ce sont ces projets que les hommes de Crixus élaborent au coin du feu alors que les soirées deviennent moins froides et que le mois de mars annonce le retour imminent de la guerre. Certes, ces images sont moins belles que celles chantées par Marcel Ollivier et Arthur Koestler. Les hommes de Crixus et de Spartacus ne sont pas d’aimables kolkhoziens très impliqués dans la réalisation des objectifs du plan quinquennal défini par le parti. Il ne faut pas se tromper d’époque. Ces hommes qui campent au pied des monts de la Sila à la fin de l’hiver 72 ont rarement un passé et très peu d’avenir. Pour la plupart ils ont été capturés dans leur enfance. Beaucoup ont vu mourir leurs parents, tués par des soldats de
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