Stefan Zweig
plus longtemps à Salzbourg, reste », et de commentaires sur les difficultés du transport ou l’inconfort du séjour, pour la décourager de le rejoindre. Quand ses conférences ont été brillantes et applaudies avec ferveur, comme il sait qu’elle est fière de ses succès d’auteur et d’orateur, il lui en fait part, mais son : « Dommage que tu n’aies pas été là » (Florence, 1932) sonne comme une politesse. Il est par ailleurs tellement surmené, tellement pris par les innombrables, trop réelles obligations dont il lui parle ! C’est que Friderike lui est indispensable : elle assure la permanence à Salzbourg, trie son courrier, répond au plus urgent, fait patienter les solliciteurs, et lui adresse, avec une discipline toute germanique, les lettres ou les revues qui ne peuvent attendre son retour. Bien que Zweig ait engagé, au sortir de la guerre, une secrétaire pour traiter son courrier et taper ses manuscrits, les Frau Mandel et Frau Meingast qui se succèdent ne suffisent pas à la tâche. Friderike Zweig, maîtresse de maison exemplaire, supervise leur travail, et en assume une part.
Il est rare qu’elle se plaigne, comme ce 31 décembre 1931 : Stefan est à Paris, elle a passé seule à Salzbourg la nuit du Nouvel An. « Cette maison n’est pas assez un foyer pour moi, lui écrit-elle dans la nuit. Je n’ai pas beaucoup droit à la parole, aucun droit de propriété, elle est trop vaste – un manteau trop large sur une âme qui parfois a froid. » S’attachant à faciliter la vie quotidienne de son mari, « en liaison avec ses devoirs », selon son austère formule, elle n’est guère remerciée en retour. Zweig est exigeant, ne tolère aucun relâchement et lui reproche même de ne pas en faire assez, comme dans cette lettre de janvier 1932, à laquelle elle répond d’un très las ex-Moumou : « Si tu as trop peu travaillé, ce n’est pas ma faute. […] Depuis que nous vivons ensemble, cher, ton travail a crû en une chaîne ininterrompue ; je ne suis peut-être pas dactylo, mais à part cela je t’ai vraiment donné toute la quiétude dont un artiste a besoin autour de lui. […] Ne le sous-estime pas, aujourd’hui que mes cheveux commencent à blanchir. »
Ayant pris l’habitude de lui confier d’abord ce qui ne va pas, ce qui l’inquiète, Zweig a fait de Friderike son infirmière : elle est là surtout pour soigner un cœur trop souvent blessé et torturé. Elle ne partage guère, en revanche, ses réjouissances, ne l’accompagne jamais en tournée, sauf une fois en Italie, où il n’exprime qu’une hâte, se retrouver enfin seul et libre ! Sa présence lui est moins indispensable de près que de loin : elle doit régenter son univers de Salzbourg, quand il s’absente, rester à sa disposition, puis si possible disparaître quand il revient écrire. Il a besoin d’elle en août et à toutes les périodes où des invités se présentent, pour assurer les réceptions, mais ne la réclame jamais en dehors de ce contexte de mondanités. Quand il arrive à Salzbourg, il l’incite à en partir, sous le prétexte qu’elle doit emmener Alix et Suse en vacances. Il délègue auprès d’elle Erwin Rieger, son collaborateur et son premier biographe 1 : gendre du colonel Veltze, son supérieur aux archives de guerre, qu’il a connu en Suisse et embauché après son retour en Autriche, Rieger – qui parle un français impeccable – lui sert d’archiviste, de documentaliste et accessoirement d’homme de compagnie pour Friderike. Il assume en somme tout ce qui ennuie Zweig, de la documentation à l’assiduité ! Friderike doit se contenter du rôle ingrat où il la cantonne, et de la compagnie falote de Rieger, alors qu’amoureuse de son mari, elle compte les jours qui les séparent.
« Notre vie conjugale court à la catastrophe », note Zweig dans son journal, en octobre 1931. Sans doute n’est-il pas fait pour vivre en couple. On le sent comme un loup solitaire, sentimentalement inapprivoisable. Il ne se rapproche de son épouse que blessé ou malade, préférant courir le monde en quête d’aventures et d’amours multiples, tandis qu’elle garde sa maison. Son foyer à Salzbourg renvoie aux gens l’image d’une vie officielle d’écrivain parfaitement organisée et bourgeoise, alors qu’il poursuit d’autres fantasmes et d’autres horizons.
Friderike est moins vigilante qu’autrefois. Elle critique ses livres,
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