Stefan Zweig
des Briefe 1897-1914 , Fischer Verlag, 1995.
4 Journal 1912-1940 , Belfond, 1986, p. 52.
5 Journal, op. cit. , p. 57.
6 La correspondance des deux hommes, de 1910 à 1940 – 277 lettres de Rolland à Zweig à la B.N. à Paris, 520 lettres de Zweig à Rolland à la Jewish National University Library de Jérusalem – est encore presque entièrement inédite à ce jour.
Les amis de la paix
Dans le bruit des canons que l’on forge et des fusils que l’on arme, dans le flux des discours nationalistes qui prônent la force et la victoire, l’esprit de conquête et de domination, ils ne sont pas seuls à défendre un idéal de paix, de part et d’autre des frontières. D’autres hommes et d’autres femmes, minorité fragile, protestent contre l’engrenage de la haine et cherchent à maintenir une brèche quand les portes se ferment une à une et que les murs se dressent d’une nation à l’autre. Certains de ces hommes et de ces femmes sont des amis de Zweig ; tous lui sont fraternellement unis, par le même esprit de tolérance et d’union. Tous sont des humanistes – le mot amorce son déclin – ou, pour reprendre Zweig, des érasmiens. Ils disent non au consensus et non à la violence.
A tout seigneur tout honneur : c’est à une femme que revient en Autriche la primeur de la parole de paix. Bertha von Suttner, que Zweig appellera la Cassandre de l’avant-guerre, parce qu’elle ne cessait d’annoncer aux contemporains incrédules l’imminence de la catastrophe, et dont les funestes prédictions ne s’interrompront qu’à sa mort, en 1914, huit jours exactement avant le coup de revolver fatal de Sarajevo, Bertha von Suttner a fait résonner la première sur l’empire endormi une sonnette d’alarme. En 1885, son livre, Waffennieder ! (A bas les armes !) affiche son programme. Il faut démilitariser l’Europe, la guerre fait le malheur des nations.
Cette baronne au verbe haut et au fier blason, née comtesse Kinski (son père était un chambellan de l’empereur) et qui, en avance de plus d’une génération sur son temps, aurait l’âge d’être la mère de Zweig, est l’amie d’Alfred Nobel qu’elle a converti à sa foi et qu’elle a amené à créer son célèbre prix de la Paix. Elle-même prix Nobel en 1905 ne jouit, à près de soixante-dix ans, que d’une faible notoriété. Du moins, le grand public l’ignore. Ainsi que l’écrit Stefan Zweig, qui ne manque pas de lui souhaiter ses anniversaires et lui adresse en hommage chacun de ses livres, « on la regardait avec un sourire condescendant ». Personne, sinon de rares amis, ne la prend au sérieux. Elle exagère et voit tout en noir, comme la pythie. Obsédée par l’idée de prévenir un conflit mondial dont elle annonce depuis un quart de siècle l’inéluctabilité, elle n’a cessé de s’opposer au malheur qu’elle voit se dessiner dans le ciel. Et elle crée seule, au milieu des sarcasmes, un journal qu’elle appelle Friedenswarte , ou Poste de garde pour la paix, où elle demande à des écrivains, à des intellectuels, à des professeurs, à qui veut s’exprimer sur le sujet, de dire son horreur de la guerre. Elle passe son temps en tournées de conférences et comme Theodor Herzl l’avait fait pour une autre cause, non moins tragique et non moins brocardée, elle se bat sans relâche, contre les moulins à vent, disent ses adversaires. Lesquels, eux, se préparent à broyer les os de la jeunesse européenne. La bonté, l’énergie extraordinaire de Bertha von Suttner resteront sans effet.
Du côté allemand, des voix s’élèvent aussi. Hermann Hesse – trente-cinq ans en 1912 –, Wurtembergeois, issu d’une famille de missionnaires protestants en rupture avec les siens, s’est établi en Suisse, près de Bâle. Il habite une ferme avec sa femme, au bord du lac de Constance. Zweig a lu et apprécié ses premiers vers, ainsi que son premier roman, Peter Camenzind , protestation contre l’autorité aveugle et opprimante, celle des parents, des maîtres et des tyrans. Ses grands livres sont encore à venir et Hesse ne jouit de quelque prestige, à vrai dire modeste, qu’auprès d’une élite de fins connaisseurs mais, avant Siddharta et Le Loup des steppes , avant Narcisse et Goldmund ou Le Jeu des perles de verre , Zweig a reconnu en cet exilé de la première heure un contemporain capital. Il correspond avec lui depuis 1903 et l’a rencontré en 1905, sur
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