Sur la scène comme au ciel
n’eût pas suffi
à sauver son malheureux ami – était-ce le résultat d’une
filature ? d’une dénonciation ? – dont il eût tout
simplement partagé le sort. D’ailleurs il reconnaissait lui-même avoir eu
beaucoup de chance, et pas seulement à cette occasion. Il appartenait au maquis
de la forêt de Saffré quand celui-ci fut anéanti par les troupes allemandes
auxquelles s’étaient joints des miliciens nantais, un des épisodes les plus
violents de la guerre dans cette région, et si on ne le compte pas parmi les
trois cent cinquante jeunes gens qui se battirent à un contre dix et dont un
tiers payèrent de leur vie, c’est qu’en sa qualité d’agent de liaison, il
venait de les quitter pour porter un message au fameux colonel Rémi, peut-être
au maquis de Saint-Marcel. Sans oublier l’histoire de la moto, pilotée par son
futur beau-frère, avec laquelle les deux amis franchirent un barrage établi sur
la route de Bouvron au carrefour de la Chaussée, et sans le sang-froid de Jean
Gautier qui feint d’obtempérer à l’ordre des soldats avant de remettre
brutalement les gaz, ils seraient morts tous les deux criblés de balles,
l’impétueux Joseph, un pistolet en chaque main, ayant d’abord proposé de passer
en force en faisant un carton sur les uniformes verts.
Quant à la ferme où il trouva refuge pendant quelques mois,
qui lui servit de repli entre ses activités de résistant, ce qui correspondait
aussi à son caractère où se mêlait le goût de la camaraderie et un désir
d’indépendance, les deux résultant de son statut de fils unique, elle se
situait au lieu-dit Le Tramier sur les terres du comte de Durfort. Bien isolée
au cœur d’une campagne où domine la forêt, elle offrait au jeune homme
recherché, non seulement un abri sûr, mais un de ces lieux, loin des rumeurs du
monde, favorable à la réflexion, cette horrible et vaste solitude qu’évoque le
désert cistercien, où l’orphelin va-t-en guerre, trop tôt converti en
commerçant, eut sans doute l’occasion, tout en participant aux travaux
agricoles, de faire le point sur sa vie et ce qu’il en attendait. Les bâtiments
sont depuis longtemps à l’abandon, mangés par le lierre et les ronciers, et il
ne reste malheureusement plus de témoins directs de cette période. Blanche, la
fille des fermiers, qui évoquait volontiers ce moment de sa vie, vient de
décéder. Mais on ne sera pas surpris d’apprendre que, comme partout où il est
passé, il y a laissé le souvenir d’un garçon enjoué, entraînant, ne rechignant
pas à la tâche – il accomplit le cycle complet des travaux de la
ferme –, et occupant ses heures de loisirs à la lecture, ce qui fut à
l’origine d’une frayeur du fermier, monsieur Mulvet, quand un visiteur,
peut-être même monsieur le comte, s’étonna de découvrir sur la table de la
cuisine un livre qui trahissait la présence insolite en ces murs d’un lettré.
L’homme ne dit rien, se contenta de prendre l’ouvrage, de le feuilleter en
connaisseur et, d’une petite moue approbative, parut féliciter le fermier pour
ses goûts littéraires. Son fils – le fils de
Joseph – affirme qu’il s’agissait d’un roman de Balzac, d’où tient-il
l’information ? Quand on sait que le même raconte que le soir de la mort
de son père il lisait Le Colonel Chabert, c’est-à-dire un autre roman du
même, on se demande s’il n’a pas cherché un effet de rime ou d’annonce, voire à
s’identifier au disparu. Mais une chose est sûre, suite à cet avertissement
sans frais, notre camouflé s’appliqua à faire preuve de plus de prudence, ce
qui était loin d’être l’apanage des jeunes gens dans sa situation dont beaucoup
se vantaient, après quelques verres, de faire le coup de main contre
l’occupant. Dolivet et les autres, leur arrestation relève peut-être davantage
de ce genre de maladresse que de la malveillance.
Souvenir aussi d’un garçon amoureux. A ce propos, l’ami
Michel livre une étonnante confidence que lui aurait faite Joseph au cours de
leur périple entre Nantes et Saint-Nazaire. Son père, sur son lit de mort, lui
aurait en effet fait promettre de ne pas se marier avec une telle. Je ne
citerai pas qui c’est , précise Michel, qui entend honorer la confiance que
par cette confidence son ancien condisciple de Chantenay avait placée en lui.
Mais une telle, pour nous qui avons connu notre camarade pendant cette période,
nous
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