Survivant d'Auschwitz
« Vous êtes ici dans un camp de concentration. Finie la belle vie ! Oubliez toutes vos anciennes habitudes, sinon c’est nous qui vous les ferons perdre. Vous devrez la plus totale obéissance à la hiérarchie des détenus, et bien sûr aux SS. Ne vous faites aucune illusion ! Personne ne ressort vivant d’ici. Vous n’êtes pas là pour penser, mais pour travailler dur. Ce camp s’appelle Birkenau et il y règne la plus grande discipline. Maintenant filez à la désinfection. »
Nous fûmes plongés dans une sorte de bassin, une espèce de bouillon froid, plein de détergent. Tremblant, j’essayai de ne pas y mettre les pieds, mais nos nouveaux gardiens avaient l’œil à tout. À nouveau, sous les hurlements « Vite ! On se presse ! », on nous lança nos sous-vêtements, veste, pantalon et calot. Je me dépêchai d’enfiler ces hardes rapiécées sur ma peau encore mouillée. Pas le temps de réfléchir à quoi je pouvais bien ressembler dans cette tenue grotesque et dix fois trop grande, ni d’attacher un crochet ou de fermer une boucle. C’était parti ! Nous étions projetés dans le monde concentrationnaire et la première épreuve commençait.
« Allez, courez ! Plus vite, bande de salauds ! » Je me battais à chaque pas contre la glaise lourde et collante pour conserver mes précieuses chaussures, qui n’étaient pas attachées. Maintenant, c’était au tour de mon affreux pantalon, bien trop large pour moi, de conspirer contre moi, tombant pour aller rejoindre son alliée, la boue froide et giclant partout. Je me battais, faisais travailler mes chevilles, serrant de près mes guenilles, le corps couvert de sueur.
Épuisé, mais victorieux, j’arrivai à la baraque des admissions. À l’entrée, je distinguai, malgré l’obscurité, une silhouette en tenue rayée. « Des objets de valeur ? Bijoux ? Objets en or ? demandait-elle sur un ton de confiance. N’essayez pas de cacher quoi que ce soit. Les SS finiront par tomber dessus. Confiez-le-moi plutôt, moi aussi je suis détenu et ce sera en sûreté avec moi. Allez, ne commencez pas à réfléchir ! Vous avez bien quelque chose sur vous, que vous voudriez voir en mains sûres ? » Certains répondaient à ses tentatives de sollicitation. Moi, je ne me posais qu’une seule question : aurait-il trouvé que mon vieux sandwich au fromage tout racorni faisait l’affaire ?
Dans la baraque des enregistrements, il y avait une longue rangée de tables, couvertes de fichiers. Derrière étaient assis des détenus et des SS. On nous donna l’ordre de nous placer en rangs de cinq et par ordre alphabétique, un exercice difficile pour les gens qui n’avaient pas l’esprit méthodique. Mais un bon coup de fouet et une panoplie d’astuces nazies assurèrent le succès de l’opération.
« Alors, où sont les gros commerçants berlinois ? » plaisanta méchamment un SS bravache. Deux détenus plutôt bien en chair, qui visiblement semblaient remplir les critères de la définition de riche commerçant, reçurent l’ordre de sortir pour faire le tour du baraquement en courant. « Y a-t-il aussi des rabbins, ici ? » Mais les barbes, qui jadis auraient trahi, avaient été rasées entre-temps. Se sentant grugé, le SS continua sa pêche aux victimes. « J’apprends qu’il y a parmi vous des bâtards, dont les pères ont violé des Aryennes. Alors, on va examiner tous les blonds au nez crochu ! » Nous étions presque tous blonds ou châtains, il lui fallut donc renoncer à son trait de génie. Fou de rage, il se mit à vociférer : « C’est votre dernière chance de vous débarrasser de choses que vous vouliez cacher. De toute façon, on les trouvera ! Jetez-les par terre. Si l’un de vous, après avoir quitté le baraquement, est découvert avec quelque chose sur lui, il sera immédiatement abattu ! » Ramasser de l’argent était pour un SS la mission que, parmi tant d’autres, il accomplissait le mieux en termes de volume sonore et de précision.
Nous continuâmes à passer devant les autres tables. Un jeune détenu russe me prit le bras gauche et commença à le tatouer avec un porte-plume, dont il trempait la pointe double dans de l’encre bleue. Il le fit doucement, je dirais même précautionneusement, mais je ressentis, malgré cela, la douleur ininterrompue d’une multitude de piqûres. Quand il eût terminé, il me regarda dans les yeux et vis que j’étais jeune. À ma grande surprise,
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