Taï-pan
m’avais laissé arranger la robe, je t’aurais économisé soixante, soixante-dix dollars, ça ne fait rien. Sa cabine est à côté de celle de son frère.
— Comment sais-tu tout ça ?
— Son amah est la quatrième fille de la sœur de la mère d’Ah Sam. À quoi ça servirait d’avoir une idiote d’esclave comme Ah Sam si elle ne tenait pas sa mère au courant et si elle n’avait pas de relations ?
— En quoi est-ce que ça regarde la mère d’Ah Sam ?
— Oh ! Taï-pan, que tu es drôle ! s’écria May-may. Pas la mère d’Ah Sam. Moi ! Tous les esclaves chinois appellent leur maîtresse mère. Tout comme toi tu es son père.
— Elle m’appelle père ?
— Tous les esclaves appellent le maître de la maison “père”. C’est une ancienne coutume, très polie. Alors Ah Tat, l’esclave de Mary, a dit tout à Ah Sam. Ah Sam, qui est bonne à rien de fainéante et qui a besoin d’être fouettée, a tout dit à sa mère, qui est moi. C’est très simple, tu sais. Ah ! oui, et pour être absolument comme il faut, si tu parlais un dialecte chinois, tu appellerais Ah Sam “fille”.
— Pourquoi veux-tu voir Mary ?
— Je m’ennuie sans parler à personne. Je parlerai seulement cantonais, ne t’inquiète pas. Elle sait que je suis ici.
— Comment donc ?
— Ah Sam l’a dit à Ah Tat, dit-elle comme si elle s’adressait à un enfant. Naturellement, une nouvelle aussi intéressante, Ah Tat l’a annoncée à sa mère, à Mary. Cette vieille putain d’Ah Tat est une mine de jade de secrets.
— Ah Tat est une putain ?
— Sangdieu, Taï-pan, c’est façon de parler. Tu devrais vraiment retourner te coucher. Tu es très simplet ce matin. »
Il but son thé et posa sa tasse.
« Rien d’étonnant, à écouter ces inepties. Je déjeune avec Longstaff, alors je préviendrai Mary. À quelle heure veux-tu ?
— Merci, Taï-pan, ça ne fait rien. Ah Sam sera mieux. Alors personne n’en saura rien que les serviteurs et ils savent toujours tout, n’importe comment. »
Lim Din ouvrit la porte. C’était le valet de chambre personnel de Struan et le cuisinier, un petit homme trapu d’une cinquantaine d’années, en pantalon noir et tunique blanche immaculée. Il avait une figure ronde joviale et de petits yeux vifs et rusés.
« Massi ? Missi et Massi venir voir. Peux ?
— Massi comment ? » demanda Struan, stupéfait que quelqu’un pût avoir l’impolitesse de venir sans être prié.
Lim Din haussa les épaules.
« Massi et Missi. Demander quel Massi ?
— Oh ! peu importe. »
Struan se leva.
« Tu attends du monde ? demanda May-may.
— Non. »
Struan passa dans la petite antichambre, la traversa et ferma la porte du fond derrière lui. Il suivit le couloir menant au vestibule et aux appartements du devant. Dès qu’il eut poussé la porte il devina que la visiteuse était Shevaun. Son parfum, un délicat parfum turc qu’elle était la seule à porter, avait imprégné l’atmosphère.
Son cœur battit plus fort et sa colère s’évapora. D’un pas vif, il entra dans le salon.
« Bonjour, Taï-pan », dit Shevaun.
Elle avait vingt ans et la grâce d’une gazelle. Ses cheveux roux sombre, plus foncés que ceux de Struan, tombaient en anglaises sur ses épaules. Sa poitrine généreuse tendait le velours vert de sa robe discrètement décolletée serrée sur sa taille de guêpe. Elle était coiffée d’un bonnet vert et ses petits pieds dépassaient d’une dizaine de jupons à volants. Elle avait une ombrelle d’une couleur orange éclatante.
Sûr, se dit Struan, elle devient plus jolie de jour en jour.
« Bonjour, Shevaun. Wilf.
— Bonjour. Navrés d’arriver ainsi sans être invités, dit Wilf Tillman d’un air gêné.
— Allons, mon oncle, s’exclama Shevaun. C’est une bonne vieille coutume américaine que de souhaiter du bonheur à une maison.
— Nous ne sommes pas en Amérique, ma chérie. »
Tillman le regrettait bien, en ce moment. Et que Shevaun ne fût pas mariée avec Jeff Cooper, qu’il fût lui-même dégagé de sa responsabilité. Maudite Shevaun. Et Jeff. Bon dieu, je donnerais tout au monde pour qu’il fasse sa cour. Alors je pourrais tout simplement annoncer le mariage et ce serait fini. Ses hésitations sont ridicules. Jeff prétendait que rien ne pressait, mais ce n’était pas vrai, à présent que Struan était veuf. Je suis absolument certain que Shevaun a jeté son dévolu
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