Thalie et les âmes d'élite
commençait à circuler : «Nous avons un petit saint dans la paroisse. »
— Bafoué, méprisé, condamné, martyrisé, continuait-il, Jésus m’apprend à souffrir en silence, avec joie même, pour expier les maux que je lui ai fait endurer, pour expier ceux des autres, pour faire sa volonté.
De manière diffuse, Raymond sentait que ses propres fautes, toutes les fois où Chariot se révélait plus fort que sa volonté, augmentaient les souffrances de Jésus. A l’opposé, par un étrange jeu d’équilibre, sa propre douleur permettait d’alléger celle de son Dieu.
— Je ne souffrirai jamais autant que Toi. Puis Toi, Tu n’as jamais mérité tout cela. Alors que moi, avec mes fautes...
De la neuvième à la quatorzième station, l’adolescent répéta encore et encore le même discours culpabilisant. Puis il revint s’agenouiller à la balustrade, le plus près possible des lumières, des statues en plâtre, du chœur où se trouvait Dieu, incarné dans l’eucharistie.
— Fais-moi souffrir, moi aussi, pour que je puisse te soutenir. Et soutiens-moi dans ma douleur. A deux, ce sera plus facile. Si tu es avec moi, je pourrai faire face à toutes les épreuves sans me troubler. Plus je souffrirai, mieux ce sera. Plus les épreuves seront nombreuses, plus elles seront cruelles, plus l’échelle sera belle pour me conduire à Toi.
Son
mot
d’ordre,
«AIMER!
SOUFFRIR!
AIMER!»
prenait tout son sens.
*****
La suite de la représentation tira suffisamment d’éclats de rire pour convaincre les comédiens que l’humour français pouvait traverser l’Atlantique sans trop de mal. Même l’accent était accessible à la plupart. Après la fermeture du rideau, les applaudissements nourris amenèrent les comédiens à venir saluer deux fois.
Puis l’assistance se retira lentement. Dehors, après les salutations à leurs voisins de loge, André demanda à sa compagne :
— Mademoiselle Picard, puis-je vous raccompagner jusque chez vous ?
— Bien sûr, cela me fera plaisir. Comme vous le savez, j’habite tout près.
— Alors nous marcherons lentement, car je veux obtenir quelques réponses... D’abord, est-il vrai qu’aux yeux des médecins, nous sommes tous des malades qui nous ignorons ?
— Honnêtement, nous avons peut-être un peu tendance à chercher des symptômes chez tous les gens que nous rencontrons...
Elise Hamelin regardait le couple s’engager dans la rue Saint-Jean, imaginant le résultat de cette première rencontre. Son amie se montrait charmante depuis plus de deux heures, une espèce de record pour elle.
— Je serais aussi heureux de vous reconduire chez vous, murmura Fernand à ses côtés. Mais peut-être préférez-vous prendre un taxi...
Plusieurs voitures s’alignaient près du trottoir. Après une hésitation, la femme déclina la seconde offre.
— Ce n’est pas loin. Marcher me reposera un peu de toute cette fumée de cigarettes.
En quittant la salle, de nombreux hommes s’étaient empressés d’« allumer ». Le duo avait progressé vers la sortie dans un nuage bleuté. Tout en se dirigeant vers la rue Saint-Cyrille, elle continua :
— Je ne m’attendais pas à votre présence ce soir, mais elle m’a fait plaisir.
L’homme déplaça sa main pour serrer légèrement les doigts posés sur le pli de son coude.
— Nous nous sommes vus tellement souvent, chez les Picard, rappela-t-il. Mais je ne crois pas que nous ayons jamais eu une conversation.
Je
ne
voyais
personne,
sauf
elle... Comme j’ai été stupide.
La confession troubla un peu sa compagne. Dans quelques minutes,
cet
homme
rejoindrait
cette
épouse
qui
l’aveuglait vingt ans plus tôt. Puis Elise trouva son sursaut de pudibonderie un peu ridicule. Le souvenir de plusieurs confidences d’Eugénie lui revenait en mémoire. Cet homme avait été trompé de la pire façon qui soit, sa femme avait abusé d’un amour sincère.
—Je pense, se souvint-elle, que mes yeux étaient aussi aveugles que les vôtres, à cette époque.
— Edouard ?
— Oui, Edouard. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Il était plus jeune que moi. Quelle sotte...
— Elise, entre nous deux, je suis le plus sot. Vous êtes revenue bien vite de votre infatuation pour connaître un mariage heureux.
De
mon
côté,
je
dois
vivre
avec
une
magistrale erreur...
La voix ne contenait aucune colère, seulement une infinie tristesse. La situation toucha son interlocutrice au cœur. Un moment,
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