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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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elle chercha ses mots.
    — Avec votre femme ?...
    — Depuis des années, je n’ai pas de femme. J’avais une maîtresse il y a quelque temps. Mais maintenant, je suis tout à fait seul...
    Evoquer une réalité si intime avec une étrangère bouleversait les usages. L’homme se sentait un peu ridicule. D’un autre côté, dans cette nuit froide, après un spectacle léger, les convenances lui paraissaient perdre beaucoup de leur signification.
    — En soi, ma situation n’est peut-être pas si difficile à vivre, continua-t-il. Ce qui m’inquiète le plus, ce sont mes enfants. Je songe à les mettre au pensionnat l’automne prochain, pour leur éviter... la tension qui pèse sur eux.
    — Même les plus jeunes ?
    — Surtout les plus jeunes. Antoine me paraît imperméable à sa méchanceté. Pour les autres, je songe à ce jardin d’enfance qui ouvrira ses portes prochainement à Charlesbourg.
    Elise ne songea même pas à dire « Eugénie ne peut pas être aussi terrible que vous le dites» ou encore «Nul ne peut remplacer une mère pour élever des enfants». Elle connaissait trop bien son ancienne camarade de couvent, cette «meilleure amie» qui la traitait déjà avec une infinie condescendance.
    — Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela, commenta bientôt le gros homme. Je suppose qu’avec le temps, j’ai totalement perdu l’habitude de la compagnie d’une personne agréable et sympathique. J’abuse de votre bonté.
    — Ne dites pas cela. Je suis à la fois touchée et heureuse de la confiance que vous me témoignez. Et puis, dans une certaine mesure, je vous comprends. Nous sommes privés tous les deux du contact quotidien d’une personne aimante, bien que ce soit pour des raisons différentes.
    Fernand eut envie de protester. Regretter un mari adoré, cultiver de bons souvenirs de sa relation avec lui, paraissait infiniment préférable que de vivre tenaillé par la haine d’une femme détestable, tout en devant passer toutes ses journées à ses côtés. Il se tut pourtant.
    Ils gardèrent le silence jusqu’à la rue Claire-Fontaine.
    — Nous avons tous les deux la chance d’avoir nos enfants, dit encore Elise en s’approchant de la maison paternelle.
    — Oui, vous avez raison.
    Ils montèrent sur le perron. Toutes les lumières de la grande demeure étaient éteintes, sauf un petit luminaire dans le hall d’entrée.
    — Fernand, commença-t-elle en cherchant dans son sac, ce fut une très agréable soirée. Je vous remercie.
    Elise disait cela comme s’il l’avait invitée, alors que leur rencontre avait été tout à fait fortuite. Ces mots donnèrent à son compagnon le courage de formuler ceux qui lui brûlaient la langue depuis un long moment.
    — Si vous le voulez, j’aimerais beaucoup que nous puissions nous revoir... Je veux dire aller prendre un café, par exemple, ou encore marcher sur les plaines d’Abraham.
    Elle posait sur lui des yeux un peu désemparés. Avant qu’elle ne dise «Voyons, cela ne se fait pas. Vous êtes marié», il s’empressa de continuer:
    — Comme les bons amis que nous aurions pu devenir en 1908. Vous vous souvenez? Nous aurions pu voir ensemble toutes les activités du troisième centenaire.
    La répartie la laissa bouche bée. Cet été-là, les convenances avaient été un peu adoucies: de nombreux jeunes gens avaient assisté ensemble à des représentations ou à des bals sans s’encombrer des chaperons habituels. Elle l’avait d’ailleurs fait avec Edouard. En alignant la clé dans la serrure, sa main tremblait un peu.
    L’homme posa ses doigts sur les siens en disant :
    — Je vais t’aider, Elise.
    Elle se laissa guider. Le petit morceau de métal glissa dans la serrure. Le passage au tutoiement leva ses dernières hésitations.
    — En toute amitié, alors, chuchota-t-elle.
    — En toute amitié.
    Elle se tourna vers lui pour dire :
    — Bonsoir, Fernand.
    — Bonsoir, Elise.
    Ils demeurèrent immobiles l’un près de l’autre quelques secondes. Puis, l’homme toucha son chapeau en guise de dernier salut, elle hocha la tête. Il regagna le trottoir un peu plus serein.

    *****
    Élisabeth Picard était rentrée en taxi, Hector Perrier à ses côtés. Lorsque la voiture stationna devant la pension Sainte-Geneviève, elle proposa :
    — Voulez-vous descendre un moment? Ces messieurs seront sans doute disposés à discuter un peu de cette représentation.
    — Je serai heureux de m’arrêter chez vous, mais je

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