Thalie et les âmes d'élite
votre seconde visite au cardinal ?
Le Soleil disait ce matin que tous les députés provinciaux avaient défilé devant lui hier.
— Tu as raison. Mais nous allons tous effectuer aussi une visite en famille, et même plusieurs. Les convenances l’exigent.
Le groupe se retrouva bientôt sur le trottoir. Une voix fit se retourner tout le monde dans la direction de l’hôtel de ville.
— Papa, nous voilà !
Amélie se tenait de l’autre côté de la rue, attendant le passage du tramway avant de traverser. Un grand type roux lui offrait son bras. Il commença par serrer la main du député en disant :
— Excusez-moi, monsieur, nous sommes en retard. Je n’arrivais plus à trouver mon brassard noir. Et dans les circonstances...
— Vous êtes tout excusé. De toute façon, vous auriez pu nous rejoindre dans la file d’attente.
Le nouveau venu, poli, serra la main de l’épouse du député. Quand ce fut le tour de Thalie, elle commenta :
— Vous avez tout de même de la chance. Votre vêtement de deuil se limite à cette bande de tissu noir, alors que pour nous...
— C’est vrai, répondit l’autre avec un sourire sympathique.
D’un autre côté, cela permet à tous les hommes de vous voir avec cette jolie robe d’un bleu presque noir. C’est la teinte
exacte
de
vos
yeux,
si
je
ne
me
trompe pas.
La répartie laissa la jeune femme bouche bée, une occurrence plutôt rare. Son silence donna le temps à Amélie de faire les présentations.
— Voici mon demi-frère, Mathieu, et sa femme, Flavie.
À l’intention du couple, les joues légèrement rosies, elle précisa :
— Voici David O’Neill... J’ai eu l’occasion de vous parler de lui, je pense.
— Oui, l’homme des mardis et des jeudis, répliqua Mathieu en tendant la main.
La remarque fit passer les joues d’Amélie du rose au rouge. De son côté, l’irlandais rit de bon cœur.
— Je tiens à garder vivantes les traditions de nos belles campagnes québécoises. Et chacun le sait, le samedi soir...
— ... les jeunes filles prennent leur bain, compléta Mathieu.
Celui-ci comprenait maintenant très bien les commentaires favorables formulés par sa sœur à l’endroit de David.
Il s’agissait d’un homme de vingt-cinq ans environ, solide, le visage mobile, rieur. L’enthousiasme et l’énergie émanaient de lui. Son costume usé, mais de bonne coupe, trahissait des moyens un peu limités.
— Je vois un anneau d’acier à votre doigt...
— J’ai obtenu un diplôme en génie de l’Université McGill, expliqua le jeune homme.
— Vous étiez donc un condisciple de ma petite sœur.
— Oui, mais éloigné. Je n’ai jamais eu l’occasion de la croiser sur le campus.
Paul Dubuc se réjouissait de voir une certaine familiarité se construire tout de suite entre son beau-fils et le dernier cavalier de sa cadette. Mathieu lui paraissait être un bon juge de la nature
humaine.
Ainsi
rassuré,
il
jeta
un
regard
sur la vitrine du magasin.
— Marie, Thalie a bien raison, tu as placé la photographie juste sous le bord des robes. Si le saint homme lève les yeux...
— Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! Avançons, sinon nous ne passerons pas avant minuit.
Tout de même, en rentrant plus tard en soirée, elle se donnerait la peine de décaler un peu le cadre.
*****
La file d’attente s’étendait maintenant devant les portes centrales
de
la
basilique
Notre-Dame-de-Québec.
Le
groupe familial contempla les battants tout neufs. Il s’agissait en réalité d’un nouvel édifice, fort semblable au précédent. Ce dernier avait
été
détruit
dans
une
vaste
conflagration
quelques années plus tôt. Une rumeur tenace évoquait un incendie criminel allumé par le Ku Klux Klan. L’organisation raciste née aux Etats-Unis étendait sa campagne contre les catholiques jusque dans la province de Québec. On lui attribuait la responsabilité de quelques attentats.
Le souvenir du grand chantier à quelques pas de chez elle incita Amélie à confier à la ronde :
— David fait présentement des travaux pour la Quebec Power, mais
il
souhaite
se
faire
entrepreneur
en
construction.
— Mais auparavant, je devrai faire mes preuves. On ne se lance pas en affaire comme cela.
Si Paul Dubuc enregistra discrètement l’information, Mathieu la saisit au vol.
— Les grands chantiers se multiplient dans la province, actuellement. Les possibilités ne manquent pas en Mauricie, le long de
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