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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dépouille mortelle, puis retournait immédiatement se joindre à la multitude des fidèles pour un nouvel exercice de patience. Cela représentait des heures sous le lourd soleil de juillet, sans manger autre chose que le morceau de pain et la tranche de fromage dérobés le matin dans la cuisine familiale.
    A ce rythme, à peu près à neuf heures ce soir, il serait devant la sainte dépouille pour la neuvième fois. Un chemin de croix comptait quatorze stations. Vendredi, il en aurait parcouru deux.

    *****
    Les Dubuc et les Picard atteignirent la porte du palais épiscopal à neuf heures précises. L’entrée était rehaussée de grandes pièces de tissu noir. Au-dessus se détachaient les armoiries de l’archevêque. À l’intérieur, sur les murs et le plafond du vestibule, un rouge écarlate dominait tout.
    «La couleur du sang s’écoulant d’une plaie», songea Thalie. Le décor lui faisait une étrange impression, celle de pénétrer dans un utérus. Elle se remémora les dissections à l’Université McGill. Elle contempla un grand portrait peint de l’archevêque, accroché au mur.
    Le couloir jusqu’à la chapelle s’ornait de la même teinte.
    Le mobilier de celle-ci avait été enlevé pour faire de la place.
    Il ne restait que l’autel et un lit de parade, lui aussi tendu de rouge. L’orgie sanglante avait au moins un effet positif: au lieu de présenter un gris malsain, le visage du défunt paraissait rose à la lueur des cierges... comme celui d’un nouveau-né lançant un premier cri. L’illusion ne durait pas.
    Les chairs affaissées, la bouche comme une longue coupure, la légère odeur de pourriture atteignant les narines malgré les effluves d’encens, tout cela criait la mort.
    Arrivés deux par deux dans la salle, les fidèles étaient invités à s’agenouiller devant le cadavre, le temps d’une invocation ou d’une pensée pieuse. Un petit escadron d’étudiants du Grand Séminaire s’assurait de maintenir une bonne cadence. Le hasard voulut que Thalie s’agenouille juste en face de Mathieu. Comme son regard paraissait lourd de reproches, son frère lui adressa un petit sourire contraint.
    «Nous n’avons pas le choix», semblait-il plaider.
    Sur les murs écarlates, la jeune femme eut le temps de lire des « sentences » rédigées en grandes lettres d’or : « Il a été chéri de Dieu et bien-aimé de son peuple » ; « Sa douceur lui gagna les cœurs»; «Il a compris les besoins des pauvres », « Il nous prêche encore la paix et l’union » ; « Il a fait l’harmonie entre les patrons et les ouvriers ».
    Puis, au grand soulagement de la jeune femme, un garçon d’une vingtaine d’années lui fit signe de céder sa place. Elle s’en trouva si délivrée qu’elle remercia le séminariste d’un sourire.
    Plus tard, le même candidat à la prêtrise se faisait insistant auprès de Raymond Lavallée, qui s’attardait sur un prie-Dieu. De nouveau, l’adolescent s’était perdu dans la contemplation de la soutane rouge, de l’aube en dentelle blanche. Les pantoufles violettes exerçaient toutefois sur lui une véritable fascination.

    *****
    En sortant du palais, l’air parut plus frais, plus doux à Thalie. Songeuse, elle se pendit au bras gauche de son frère, alors que Flavie tenait le droit.
    — As-tu vu toutes ces inscriptions dorées sur le mur ?
    demanda-t-elle à voix basse.
    — Ce serait le résumé de ses trente-trois ans à la tête du diocèse. A tout le moins, c’est ce que j’ai lu dans l’Action catholique.
    La jeune femme se priva de se moquer de ses lectures.
    — Il en manquait au moins une : «Il s’est opposé farouchement au droit de vote des femmes. »
    Après que le parlement d’Ottawa eut étendu à toutes les femmes ce droit lors des élections fédérales, du haut de son autorité morale, l’archevêque avait fustigé ce principe. Plus encore, il avait soutenu la création d’une association féminine contre le suffrage féminin.

    — Et bien sûr, continua Thalie, je passe sous silence d’autres faits remarquables de son règne.
    — En effet. Je sais que ton énumération serait longue.
    Dans une longue lettre publiée en 1923 dans les pages du journal Le Devoir, Louis-Nazaire Bégin avait condamné tous les «fléaux modernes», dont la danse, la mode, le cinéma et la fabrication
    d’alcool
    illicite.
    C’était
    tout
    juste
    si, à ses yeux, l’électricité ne figurait pas sur la liste des horreurs venues des

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