Thalie et les âmes d'élite
vous devez croiser de nombreux nez rougis sur votre chemin.
— Dans la salle de classe ce matin, nous étions une douzaine au moins à éternuer.
Planté au milieu de la pièce, ses bretelles sur les fesses, le garçon paraissait bien emprunté, maintenant. Elle allait lui dire de remettre ses vêtements quand son regard se posa sur la jambe droite du pantalon. Une tache rougeâtre le marquait, au niveau de la cuisse.
— C’est du sang que je vois là. Avez-vous été blessé?
Cette fois, le garçon parut troublé, au point de rougir un peu.
— Ce n’est rien. Une égratignure.
— Montrez-moi.
— Voyons... Je ne peux pas.
Montrer sa poitrine était une chose, baisser son pantalon, une autre.
— Je suis votre médecin. Montrez-moi.
Les doigts un peu tremblants, il détacha le bouton de sa ceinture, puis les deux premiers de la braguette. Cela suffit pour baisser le vêtement, jusqu’au bas de son caleçon.
Thalie, assise sur sa chaise, tendit les doigts pour le soulever.
Elle se retint, l’âge de ce garçon ne lui permettait plus ce genre de privauté. Ce n’était plus un enfant, mais un jeune homme : elle en avait une preuve évidente sous les yeux.
— Levez-le un peu.
Hésitant, il saisit le sous-vêtement du bout des doigts, le remonta.
Une pièce de cuir tressée, attachée très serrée par un nœud à l’intérieur, faisait le tour de la cuisse. Ici et là, des pointes en cuivre avaient été insérées dans la courroie. Il portait un cilice !
En divers endroits, la peau percée laissait échapper un peu de sang. Toutes ces blessures étaient bien superficielles, mais le moindre mouvement entraînait probablement une douleur aiguë. Même la plus parfaite immobilité apportait son lot d’inconfort.
— Je sais ce qu’est un cilice, dit-elle, en levant les yeux vers son visage, même si, je dois l’admettre, j’en vois un pour la première fois. Mais que faites-vous avec cela ?
— C’est pour me mortifier.
Raymond ouvrait de grands yeux, surpris de devoir expliquer une évidence.
— Et les deux petits points rouges, un peu plus bas, qu’est-ce que c’est ?
Un examen un peu plus attentif lui permit d’apercevoir huit de ces points. Ils pouvaient tenir à des piqûres de punaises, une occurrence assez fréquente chez les clients du dispensaire. Mais cette vermine ne se donnait pas la peine de dessiner un motif au moment de s’abreuver de sang. Ces points rouges venaient deux par deux, toujours à égale distance l’un de l’autre, soit environ un pouce.
— Ce sont de petits coups de griffe.
— ... Il y en a d’autres sur votre corps ?
— Quelques-uns, de l’autre côté.
Si le rhume lui paraissait sans gravité, cet examen suscitait de l’inquiétude chez l’omnipraticienne.
— Remettez vos vêtements, et venez vous asseoir.
J’aimerais bavarder un peu.
Dans cette institution, afin de recevoir tous les miséreux s’entassant dans la salle d’attente, les deux médecins limitaient leur temps de consultation. Toutefois, Thalie acceptait de terminer un
peu
plus
tard
sa
journée
de
travail
afin
de mieux comprendre cet étrange personnage.
Quand le garçon, maintenant un peu plus assuré du simple fait d’avoir remis de l’ordre dans sa tenue, occupa de nouveau la chaise des visiteurs, elle commença :
— Pourquoi portez-vous un cilice ?
— Je vous l’ai dit, pour me mortifier. C’est une façon de me rapprocher de Dieu. Vous avez vu, il ressemble à une couronne d’épines, comme celle de Notre-Seigneur. Evidemment, je ne peux pas la porter sur ma tête...
Plutôt que de lui crier d’enlever tout de suite cette horreur, l’omnipraticienne adoptait un ton badin. C’était certainement le seul moyen d’inspirer confiance à ce garçon, de l’amener à se confier.
— Cela ferait une drôle d’impression, au Petit Séminaire, compléta-t-elle.
— Je ne pense pas que les bons pères prendraient la chose à la légère, admit-il en souriant. Sans doute m’accuseraient-ils du péché d’orgueil.
— Porter le cilice leur semblerait déjà un peu exagéré.
— Certainement pas. Personne n’en parle, mais ils doivent être nombreux à en porter un aussi.
Thalie songea que ce pouvait bien être le cas. A l’origine, le cilice prenait la forme d’un vêtement au tissu très rugueux, porté sur la peau pour susciter un inconfort permanent. Les membres des ordres religieux avaient l’habitude de s’en vêtir. Un certain
Weitere Kostenlose Bücher