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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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homme lui-même ne demandait aucun renforcement, mais il voulait faire en sorte que les élus municipaux, dans leurs bureaux, entendent les voix.
    Ainsi, ils pourraient mesurer sa capacité de rallier des appuis.

    *****

    Lorsque la petite armée privée de monseigneur Buteau envahit l’hôtel de ville, la plupart des personnes présentes férues de politique municipale préférèrent lui abandonner les lieux. Les magouilles sur les terrains, les problèmes de collecte des ordures tout comme les insuffisances du système d’égout
    animaient
    la
    soirée.
    Cet
    ecclésiastique
    la
    transformerait en un étalage de bondieuseries.
    Les égéries du catholicisme occupèrent la quasi-totalité des chaises destinées au public, d’autres s’appuyèrent contre les murs. La plupart demeurèrent dans les couloirs à dire leur chapelet, créant un bourdonnement continu un peu étrange.
    — Nous avions un ordre du jour un peu chargé, commença le maire
    Joseph-Octave
    Samson,
    mais
    l’arrivée
    inopinée de si nombreuses visiteuses nous amènera à le modifier un peu. Car vous vouiez sans doute ajouter un sujet de discussion... Comment devrions-nous l’intituler?
    La question, lancée à la volée, laissa la présidente des Dames de Sainte-Anne muette de timidité, malgré son âge et une moustache rivalisant avec celle du chef de police Trudel. La présidente des Enfants de Marie, la fille d’un notaire de la rue Desfossés, réalisa combien il était plus facile de prendre la parole devant ses camarades du couvent de la congrégation Notre-Dame. Dans cette auguste enceinte, les mots
    s’étranglèrent
    dans
    sa
    gorge.
    Effrayée
    de
    devoir prendre la relève, la responsable des Filles d’Isabelle ressentit une envie soudaine de soulager sa vessie.
    — Nous voulons déposer une pétition demandant aux autorités municipales de mettre fin à la campagne de démoralisation de notre jeunesse, rugit le bon ecclésiastique, déterminé à se faire entendre.
    L’habitude de s’exprimer devant des centaines de paroissiens le préparait bien mal à une assemblée de ce genre. Les échevins se faisaient face derrière des bureaux en chêne répartis sur deux rangées, celui du maire un peu au-dessus des autres. Penché sur une table, le secrétaire, une plume à la main, s’apprêtait à dresser le procès-verbal.
    — Inscrivez « Dépôt d’une pétition », lui indiqua le premier magistrat.
    Emile Buteau songea à protester devant un intitulé si modeste mais réprima plutôt sa juste colère.
    — Vous voudrez bien nous expliquer ce dont il s’agit, monseigneur, continua Samson.
    — ... Nous avons ici une pétition signée par quatre mille membres des associations féminines de la ville. Des associations catholiques.
    La précision ne servait à rien. Le seul membre protestant du conseil l’avait deviné lui aussi. Le nombre imposant de pétitionnaires amena toutefois les élus à adopter une mine grave, préoccupée.
    — Cette pétition demande l’interdiction de tout affichage à la porte des théâtres et des cinémas.
    — Les commerces ont le droit de faire de la publicité, remarqua un échevin, sinon nos concitoyens ne sauront pas ce qu’ils ont à vendre.
    — Nous ne parlons pas ici de maisons désireuses de vendre des vêtements ou de la viande, mais de salles obscures où les Américains nous débitent le péché, la perversion, pour atteindre
    les
    fondements
    mêmes
    de
    la
    foi
    catholique et nous faire disparaître comme peuple.
    Le discours n’avait rien de nouveau, la Semaine religieuse de Québec, L’Action catholique et les bulletins paroissiaux comme La Bonne Parole le distillaient depuis un quart de siècle.
    — Le cinéma demeure le seul loisir accessible à la classe ouvrière, remarqua l’échevin du quartier Saint-Sauveur.
    La tradition voulait que l’un des sièges de la Basse-Ville revienne à des militants du mouvement ouvrier. Membre des syndicats catholiques, cet échevin se ferait passer un savon par son aumônier, l’un des vicaires de la paroisse Saint-Roch.
    — Comment peut-on se reposer, caché dans une salle obscure, à contempler un spectacle fétide ?
    La situation risquait de s’envenimer. Dans la salle, les journalistes de L'Evénement et de L'Action catholique noircissaient les pages de leur carnet. Même celui du Soleil, «
    l’organe du Parti libéral» pouvait-on lire en première page, devrait rendre compte de cette manifestation. Comme le conseil de

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