Théodoric le Grand
vous
remercie de vos bons offices. Allez-y ! Tous mes vœux de succès vous
accompagnent. Si vous poursuivez votre route au nord en partant d’ici, vous
rejoindrez la Via Flaminia, qui vous conduira sur Ariminum, où le navarchus Lentinus de la flotte de l’Adriatique travaille actuellement à certains
projets. Mon maréchal Thorn, que voici, connaît la route à suivre et le navarchus. Le Saio Thorn vous guidera, vous et vos hommes. Il veillera à ce que
Lentinus vous mette à bord du premier navire en partance pour Constantinople.
*
Théodoric et son armée continuèrent donc sans moi et je
rebroussai chemin pour servir de guide au petit convoi de Festus. J’eusse été
malvenu de me plaindre de la tâche qui m’avait été confiée. Elle m’évitait
d’avoir à coucher dehors, à me nourrir de l’ordinaire du soldat et à endurer la
fatigue de longues étapes à cheval parcourues au pas militaire. Le sénateur
voyageait comme il sied à un dignitaire, assurant à ses hommes comme à moi-même
un luxe équivalent. Chaque journée de voyage était préparée pour s’achever dans
une ville pourvue d’un hospitium confortable, à la table copieusement
garnie et aux thermes bien tenus.
À Ariminum, Lentinus mit avec obligeance à la disposition de
Festus un petit dromo et son équipage et l’envoya droit sur
Constantinople. Ce genre d’embarcation étant le plus petit et le plus rapide
des navires, le sénateur ne put prendre avec lui que deux de ses ordonnances,
aussi régla-t-il le séjour des autres sur place en attendant son retour.
Dépense considérable, car il ne pouvait espérer être de retour avant au moins
quatre semaines.
Je n’eus pas le loisir de flâner à Ariminum, car Lentinus me
pressa de venir voir ce qu’il avait imaginé pour parfaire le blocus de Ravenne.
Avec le concours de nos meilleurs ouvriers militaires, il venait d’achever la
construction des bateaux de fortune destinés à transporter nos guerriers et les
avait mis à l’eau. Le navarchus semblait fier et pressé de me montrer le
résultat de son œuvre. Je partageais bien sûr son enthousiasme. Dès le lendemain
nous remontâmes la Via Popilia en direction du nord, à partir d’Ariminum. Je
pus me rendre compte à cette occasion, comme on me l’avait expliqué, que cette
voie n’avait plus grand-chose d’une route ; ses pavés étaient usés ou
brisés, quand ils ne manquaient pas sur de longues portions. En fin
d’après-midi, nous atteignîmes l’endroit où notre ligne de siège rejoignait le
rivage au sud de la ville. Nos sentinelles y étaient prudemment positionnées
hors de portée d’arc des défenseurs de Ravenne, mais suffisamment proches du
port de la cité pour que nous puissions l’apercevoir.
— Ravenne proprement dite n’est pas visible d’ici,
expliqua Lentinus, tandis que nous descendions de cheval au milieu des
assiégeants. Ce que vous distinguez là-bas – ces quais, ces jetées, ces
hangars – n’est que l’extrémité marchande et industrieuse de la ville, le
faubourg portuaire de Classis. Sa partie patricienne, la ville de Ravenne
elle-même, se trouve à deux ou trois milles à l’intérieur des terres. Une
chaussée traversant les marécages la relie à Classis. Bordée de cabanes et de
huttes où vivent les petites gens, c’est le quartier de Caesarea.
Il était évident que le port aurait dû, en temps normal,
être un lieu grouillant d’activité. Ample et spacieux, abrité des colères de la
mer par deux basses îles situées au large, il pouvait héberger deux cent
cinquante gros bateaux, que de larges débarcadères permettaient de charger et
de décharger sans entraves. Pourtant, on n’y distinguait pour lors que quelques
navires soigneusement amarrés, écoutilles fermées, voiles pliées et sans
équipage. Nul canot ne faisait l’aller-retour entre les quais et la terre. En
temps normal, même de l’endroit éloigné où nous nous trouvions, on eût pu
apercevoir des foules de porteurs, de charrettes et de chariots s’affairant
d’un quai à l’autre, mais les seuls mouvements perceptibles pour le moment
semblaient le fait de quelques flâneurs désœuvrés. Les volets des bâtisses
érigées sur le front de mer étaient fermés, aucune fumée de forge ne montait vers
le ciel et les poulies des grues restaient immobiles.
Seules six embarcations continuaient de bouger dans le port,
pagayant mollement d’une extrémité à l’autre, à
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