Théodoric le Grand
bras
gauche tirait le mien. Il était donc indéniablement gaucher. La chance,
pensai-je, semblait vouloir me sourire, aujourd’hui.
Strabo agita avec langueur une pièce de tissu blanc, et les
portes donnant sur l’arène s’ouvrirent. Poussés comme du bétail par de nombreux
gardiens armés, les Hérules captifs s’avancèrent sur le sable. Entièrement nus,
ils portaient juste sur la poitrine, barbouillée à la peinture, une marque
bleue ou verte désignant leur origine. Ils furent ainsi regroupés, selon leur
tribu, des deux côtés de l’arène. Les hommes étaient munis d’un glaive court à
la romaine obligeant à un combat rapproché, mais sans la moindre protection
puisqu’ils n’avaient pas de bouclier.
Strabo donna un nouveau signal. Les gardes refluèrent vers
les portes de l’arène, les verrouillant solidement derrière eux afin qu’aucun
combattant ne pût prendre la fuite ou se cacher. De chaque côté de l’arène, les
deux groupes d’Hérules semblaient discuter de leur situation. Certains, tournés
vers leurs adversaires, pointaient le glaive dans leur direction. Mais au bout
d’un instant, tous se tournèrent vers le podium. Ce que firent aussi les
spectateurs sur leurs sièges, hurlant à l’unisson : Let faírweilt
gaggan ! pour signifier à Strabo leur seul désir : « Que le
spectacle commence ! » Je me retournai à mon tour, mais pour jeter un
coup d’œil vers Odwulf. D’un signe de tête, il me fit comprendre qu’il avait
agi selon mes instructions, ponctuant son geste d’un sourire désabusé qui
semblait vouloir dire : « À présent, à la grâce de Dieu ! »
Hilare, Strabo faisait malicieusement durer le plaisir,
jouant avec les nerfs de ses impatients sujets. Puis il se leva paresseusement
et s’avança vers la balustrade du podium pour parler aux gladiateurs. S’ils ne
l’avaient encore jamais vu en chair et en os, ils eurent de quoi s’émerveiller
de son incroyable capacité à fixer les deux compagnies en même temps. Son
discours reprit dans les grandes lignes ce que je lui avais suggéré la
veille : puisque leurs belliqueuses tribus avaient foulé aux pieds
l’autorité de leur roi en tentant de se massacrer l’une l’autre, elles allaient
pouvoir donner libre cours à leurs désirs, les Bleus contre les Verts. S’il
restait dans chaque camp un survivant, ces deux hommes se verraient non
seulement garantir la vie sauve, mais ils seraient enrôlés avec les honneurs au
palais dans la garde personnelle du roi.
— Háifsts sleideis háifstjandáu ! conclut
Strabo, voulant dire par ces mots : « Combattez
farouchement ! » Sur quoi il retourna tranquillement s’allonger sur
sa couche, se plaçant de manière à ce que ses pieds ornés de perles soient
exposés à la vue de tous. Alors seulement, il agita derechef son tissu blanc,
et le laissa tomber pour marquer le début du combat.
Celui-ci débuta en effet, mais pas de la façon dont Strabo
et les autres spectateurs l’avaient envisagé. Il commença en revanche
exactement comme je l’avais prévu, mettant en action le plan qu’avait fomenté
Odwulf avec les prisonniers, et que nous avions secrètement espéré qu’ils
suivraient. Quand le chiffon blanc tomba au sol, les Bleus et les Verts ne
coururent pas les uns vers les autres. Ils se retournèrent de l’autre côté,
vers les murs de l’arène. Quelques-uns, l’épée entre les dents, sautèrent et
agrippèrent le parapet au-dessus d’eux, se hissant souplement et l’enjambant
aussitôt. D’autres sautèrent sur les mains tendues en coupelles de leurs
camarades, qui leur firent la courte échelle et les propulsèrent à l’étage
supérieur. Ceux qui étaient montés s’allongèrent, tendant les bras à ceux du
dessous pour les tirer à leur tour vers le haut. Les spectateurs, soudain
envahis par des hommes nus et armés déferlant sur leurs gradins, se levèrent
précipitamment pour fuir. Mais partout ailleurs dans l’amphithéâtre, le public,
y compris Strabo, resta assis sur son siège sans bouger, bouche bée, comme
pétrifié par ce désordre sans précédent, dans un confus murmure d’incrédulité.
Murmures qui se transformèrent en cris et en hurlements, dès
que les Hérules nus commencèrent à brandir leurs épées. Ils se mirent à frapper
indistinctement devant eux les hommes, femmes et enfants agglutinés sur leurs
sièges, livrés sans défense à leurs coups. Pour se protéger, certains
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