Théodoric le Grand
préparation. Comme elle le
faisait depuis plusieurs matins déjà, elle ne cessait de surveiller sa poitrine
avec une mélancolie rêveuse, dénudant et pinçant alternativement l’un puis
l’autre de ses seins gros comme des oreillers, à la recherche évidente d’une
trace de montée de lait. Elle ne réussit bien sûr qu’à faire sourdre un peu de
cette pâle lymphe que toute femme un peu corpulente – ou tout eunuque un
peu gras – parvient à extraire de ses seins. Cela suffit cependant à me
donner une idée malicieuse. Je défis ma chaîne de cou, ôtai le couvercle de
cuivre de ma fiole reliquaire et au grand étonnement de l’apathique Camilla,
fis couler quelques gouttes de ce mince filet liquide à l’intérieur du cristal,
avant de le reboucher.
Sur ces entrefaites, Strabo arriva, vêtu lui aussi comme un
prince, portant en lieu et place de sa lourde armure une chlamyde et une
tunique de tissu léger, avec une ceinture d’épée et un fourreau couvert de
pierreries. Il s’était aussi impeccablement toiletté, jusqu’à peigner sa barbe
d’ordinaire hirsute, lui donnant une netteté et une douceur inusitées. Il
haussa le col comme un jeune coq pour me détailler des pieds à la tête, un œil
après l’autre, se frotta les mains d’un air satisfait, sourit et dit d’un ton
chaleureux :
— Amalamena, je suis vraiment heureux de devoir
attendre demain pour t’amputer d’une partie de ton anatomie. Tu es plus belle
et attirante que jamais. Quand le combat dans l’arène aura bien échauffé nos
deux désirs sanguinaires, nous devrions pleinement apprécier nos cabrioles de
la nuit prochaine. En ce qui me concerne, en tout cas. Dommage, sincèrement,
que ce soit la dernière fois.
— À moins, fis-je, que Freya, Tykhe ou quelque autre
déesse de la chance ne choisisse de me sourire avant !
— Akh, ja… si l’évanescent Ocer venait soudain à
réapparaître, comme par enchantement. Mais je crains que ton délai de grâce ne
soit en train de s’écouler bien vite, ma jolie. Allons, es-tu prête pour le massacre
auquel tu brûlais d’assister ?
Il fit un geste au soldat en armure qu’il avait emmené avec
lui, et l’homme verrouilla autour de mon poignet droit un large anneau de fer,
relié par une chaîne à un bracelet identique enserrant son poignet gauche. Son
bracelet était en réalité profondément enfoncé dans son bras, l’individu en
question étant un véritable obèse, encore plus ventripotent que Strabo. Je
supposai qu’il l’avait choisi à dessein, sachant que si par hasard il était
tué, jamais je ne pourrais m’échapper en traînant un tel poids derrière moi.
Escortés d’un groupe réduit de soldats, nous nous rendîmes à
pied jusqu’à l’amphithéâtre, à peu de distance du palais. Nous y pénétrâmes par
l’entrée des notables, laissant notre escorte à la porte. Nous gravîmes une
volée de marches menant au podium, et je découvris qu’on avait réservé à mon
intention une chaise confortable, tandis qu’une couche surélevée était dévolue
à Strabo. Avant de s’y allonger, ce dernier ôta toutefois ses sandales pour
enfiler une élégante paire de pantoufles, richement brodées de perles jusque
sous les semelles. Étendu sur cette couche, visible de tous ses sujets depuis
leurs gradins, il arborait ces mules pour bien montrer à tous que l’illustre et
indolent roi Thiudareikhs Triarius pouvait se payer le luxe de s’abstenir de
marcher, si tel était son bon plaisir.
Il semblait que ses sujets de Constantiana avaient tenu à
s’assembler pour venir l’admirer. Ils emplissaient chaque cuneus [17] et chaque maenianum [18] de l’amphithéâtre, des meilleurs sièges du bas aux rudes gradins du dernier
étage. Seul notre podium était séparé de la foule, et il ne contenait que moi,
le cerbère enchaîné à mon bras, vautré à droite de mon siège, Strabo étendu sur
sa couche et un autre garde – thags Guth, c’était Odwulf –
debout en armes et en armure, figé dans une posture de rigide attention juste
derrière Strabo.
Le fait qu’on ait choisi d’attacher mon poignet droit au
bras gauche de mon gardien s’expliquait. En effet, la plupart des gens, comme
moi, sont droitiers, et leur bras droit est plus puissant que le gauche. Mais
je remarquai que mon gros gardien portait son épée au côté droit. Et de temps à
autre, lorsqu’il voulait se frotter le nez ou se gratter l’entrejambe, son
Weitere Kostenlose Bücher