Théodoric le Grand
bras, comme s’il m’invitait à
prendre place sur un trône, plutôt que sur le sol nu.
— Donnez-vous la peine de vous asseoir… du côté opposé
au soleil. Voilà. À présent, en quoi puis-je vous être utile dans votre
recherche de renseignements ?
— Eh bien… j’espère que vous me pardonnerez de
commencer par cette question, mais… que pensent les Gépides, dont vous faites
partie, du nom qu’ils portent ?
Il demeura un long moment à me couver d’un œil froid, puis
répliqua :
— Et vous, que pensez-vous du vôtre, niu ? Thorn :
ce n’est pas un nom, ça, c’est un caractère de l’alphabet runique !
— Je ne l’ignore pas, en effet. C’est néanmoins mon
nom. Et tout ce que je puis dire, c’est que je m’y suis habitué depuis
longtemps.
— Tout comme moi d’être un Gépide. Question
suivante ?
— Ce que je veux dire…, insistai-je, c’est que vu la
connotation quelque peu péjorative de ce nom…
— Vái ! (Il cracha par terre.) Encore cette
vieille fable ? Comme quoi le mot Gépides dériverait du mot gepanta ?
Lent, engourdi, apathique, et tout cela ? Vous vous prétendez historien,
et accorderiez foi à ces infantiles balgs-daddja ?
— C’est que… je tiens cela de source autorisée. De
plusieurs, même.
Il haussa les épaules.
— Bon ! Eh bien, puisque vous vous en contentez,
au nom de quoi irais-je ergoter avec un historien ? Question suivante.
— Ne, ne, ne. Je vous en prie, honorable
Galindo. Si vous connaissez une autre origine à ce mot, je serais très
intéressé de l’entendre.
— J’en connais effectivement la véritable origine. Dans
l’ancienne Skandza, berceau originel de tous les Goths, les Amales et les
Balthes habitaient les zones planes. Nous autres Gépides, au contraire, vivions
dans les parties montagneuses du pays, les baírgos. Lorsque, bien plus
tard, les Amales et les Balthes en vinrent à s’appeler respectivement Goths de
l’Est et de l’Ouest, nous décidâmes fièrement de garder notre nom de Goths des
Montagnes. Le terme de Gépides est tout simplement la transcription moderne et
abrégée du mot ga-baírgos, qui désigne les natifs des montagnes. Je vous
laisse libre de le croire ou pas.
— Mais je vous crois, je vous crois…, l’assurai-je,
surpris mais satisfait de cette nouvelle explication. Je trouve votre version
bien plus crédible que celle habituellement admise.
— Si je puis me permettre, jeune historien, n’accordez
jamais trop de crédit aux noms quels qu’ils soient. Vous connaissez sans doute
nombre de Placidias pas spécialement du genre placide, d’Irènes [35] qui n’ont rien de paisible et de Virginias pas vraiment virginales, n’est-ce
pas ? Un nom peut être un élément fragile, fluctuant, et même trompeur.
— Tout à fait, approuvai-je, sans mentionner le fait
que je changeais moi-même délibérément de nom, trompant ainsi mon entourage.
— À propos de noms, il y a une chose qui m’est restée,
de mon service dans la Claudia Pia.
Galindo laissa errer son regard sur la surface herbeuse sans
limites, et son visage marqué par les ans se fit pensif, comme s’il contemplait
à nouveau les Champs Catalauniques, à près de quarante ans de distance :
— Nous entonnions souvent des chants guerriers, pas
tous romains du reste, puisque vous le savez, nous venions tous de peuples
différents, tels ces soldats originaires des îles de l’Étain. Mais quel que
soit le chant choisi, nous l’interprétions toujours en latin, langue commune à
tous. Ces Bretons dont vous parlez avaient bien sûr leurs chants à eux, mais
ils joignaient volontiers leur voix à celles des Goths pour déclamer nos saggwasteis
fram aldrs. Je nous revois chanter celle qui contait la vie et les exploits
du grand héros wisigoth Alareikhs. En latin, ce nom se dirait plutôt Alaricus,
mais ces natifs des îles de l’Étain, eux, l’honoraient dans leur latin breton
du patronyme d’Arthur.
Le vieux Galindo nous ramena à la réalité, aboyant
soudain :
— Que le diable vous emporte, Maréchal ! Vous
revoici devant mon soleil !
— Je n’y suis pour rien, cette fois. Il s’agit plutôt,
je pense, d’une des maudites tempêtes de votre delta, aussi violentes
qu’instantanées.
À une vitesse déconcertante, les nuages en vesse-de-loup
avaient grossi et s’étaient déployés pour se fondre en une couverture solide
qui commençait à noircir.
— Akh, ja, fit
Weitere Kostenlose Bücher