Théodoric le Grand
Goths. Ils
pourraient désormais se liguer en une force plus puissante qu’à aucun moment de
leur histoire. Ils pourraient devenir les nouveaux Romains…
La fumée de hanaf était clairement montée à la tête
du vieil ermite, et il délirait. Mais je me sentais difficilement en position
de le lui reprocher, mes propres capacités de réflexion et d’élocution étant
presque aussi détériorées que les siennes.
— Et si les Goths venaient à supplanter les Romains
comme maîtres de l’Occident… eh bien… le monde leur serait reconnaissant
d’avoir adopté le christianisme des ariens plutôt que celui d’Athanase [36] ,
à l’instar des Romains.
À mon intime frayeur, car j’eus peur de ne plus être capable
de prononcer à l’avenir quelque chose d’autre, je m’entendis demander pour la
quatrième fois :
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Au cours de l’histoire, des Européens de différentes
religions se sont combattus et tués pour telle ou telle raison. Mais ce n’est
que depuis l’arrivée du christianisme que des hommes du monde occidental se
sont étripés à cause de leur religion, chacun cherchant à imposer la sienne à
l’autre.
Galindo s’arrêta pour reprendre une inspiration de son
horrible fumée.
— Les chrétiens ariens, au moins, font preuve de tolérance
à l’égard des autres religions, du paganisme, et de ceux qui ne professent
aucune foi. Et si les Goths venaient à s’imposer, ils n’exigeraient ni
n’attendraient de personne une soumission à leur foi. Saggws was
galiuthjon !
Ces derniers mots me firent sursauter, car il les avait
chantés, et même littéralement hurlés :
Saggws was galiuthjon,
Haífsts was gahaftjon !
C’était à n’en pas douter une réminiscence de sa période
d’engagement militaire – « Le chant a été entonné, la bataille a
commencé ! » Je fus dès lors convaincu que bien que donnant, au
premier abord, l’impression d’être sain d’esprit, il était vraisemblablement
devenu depuis longtemps dépendant de sa fumée d’herbe : son hanaf lui
avait définitivement perturbé la raison.
Nous nous séparâmes sans trop de cérémonie. Je me remis
debout, de façon quelque peu chaotique, et dis au revoir à Galindo. Il se
contenta de me saluer à la romaine, continuant de chanter à tue-tête. Pour ma
part, je traversai la plaine en titubant et réussis, en pataugeant lourdement,
à franchir le fossé pour rejoindre Lombric. Fidèle au poste, il maintenait
toujours nos bêtes. Je serrai à fond les paupières afin de me concentrer sur ma
voix et, à mon grand soulagement, je m’entendis prononcer d’autres mots que
« Pourquoi dites-vous ça ? », même si le timbre de ma voix était
proche du croassement :
— Retournons à la maison de Fillein.
Lombric me regarda d’un air indécis.
— Vous êtes sûr que ça va, fráuja ?
— J’espère…
Je fus bien incapable de lui répondre autre chose, car
j’ignorais la persistance des effets de la fumée de hanaf.
Fort heureusement, l’air pur des prairies nettoyé par la
pluie et notre course à cheval à un petit galop vif dissipèrent graduellement
l’obscurité qui baignait mon esprit. Peu après la nuit tombée, nous regagnâmes
la demeure de Fillein et de Baúhts, et je me sentais à nouveau valide et sain
d’esprit. Lombric descendit de Velox avec beaucoup plus d’assurance que
lorsqu’il était monté en selle le matin. Pourtant, à peine avait-il mis le pied
à terre qu’il chancela et commença à geindre. Ce fut alors mon tour de lui
demander :
— Est-ce que tout va bien ?
— Ne, fráuja, fit-il d’une voix faible. J’ai la
sensation persistante d’avoir les jambes arquées comme un cerceau. Et d’avoir
la peau à vif. Ressent-on toujours cette douloureuse inflammation, cette
raideur et une telle irritation lorsqu’on descend de cheval ?
— Seulement la première ou la deuxième fois,
répondis-je. Et parfois la troisième !
— Akh, j’espère bien ne jamais avoir à le
refaire une seconde fois. Dorénavant, je me satisferai pleinement de courir à
côté du cheval : je crois que nous autres, les Arméniens, avons été conçus
pour cela.
— Balgs-daddja, raillai-je en riant. Va déterrer
un radis noir. Écrase-le, et enduis de cette pâte les parties douloureuses de
ton fondement. Dès demain matin, tu te sentiras soulagé.
Fillein et Baúhts avaient gentiment différé le nahtamats
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