Thorn le prédateur
sûr que non, approuva-t-il, hébété. Mais… mais
enfin, si elle est ta jumelle… une fille si jeune…
— Hélas, répliquai-je en me composant un masque de
mélancolie, plus assez pour être vierge. Elle a connu une tragique histoire
d’amour. Avec l’un de ses tuteurs… qui l’a trahie, et épousé quelqu’un d’autre.
C’est pour cela que le vieux Wyrd, choisi pour son grand âge, la tient
étroitement enfermée. Et pourquoi elle a décidé de ne plus jamais tomber
amoureuse.
— Dans ce cas…, fit Gudinand, radieux à l’idée d’une
aussi heureuse perspective. Peut-être vaut-il effectivement mieux qu’elle ne
soit plus vierge, car elle saura, du coup… euh… ce qu’il faut faire.
— Je n’en doute pas. Elle pourrait même t’aider
sérieusement dans ce que tu appelles ton « initiation ». Tu n’en
seras plus tard que meilleur amant, lorsque, ton mal étant guéri, tu pourras
« avoir » d’autres femmes.
— Liufs Guth ! murmura-t-il, puis il
enchaîna : Non que cela ait une grande importance, mais… est-elle
jolie ?
Je haussai les épaules.
— Quel frère pourrait avoir l’idée d’admirer, ou même
de s’interroger sur la beauté de sa propre sœur ? Tout ce que je peux te
dire, c’est que Juhiza est ma vraie jumelle, et que tous sont frappés par notre
ressemblance.
— Or, tu es tout sauf laid, c’est certain… Bien, euh…
que puis-je te dire, Thorn ? Si Juhiza est vraiment disposée à faire
preuve d’une telle gentillesse à l’égard d’un parfait étranger, je ne puis
qu’accepter et la bénir. Ainsi que toi, bien sûr. Comment cela se
passera-t-il ?
— Pourquoi pas ici, dans ce même bosquet ?
suggérai-je spontanément. Il n’y a aucun danger qu’on nous voie. Et cela
pourrait avoir une signification forte, voire accélérer ta guérison, si tu te
livrais à elle à l’endroit même où j’ai pour la première fois découvert ta
souffrance. Qui sait ? Cette crise pourrait même être la dernière du
genre. Ja, je pense qu’il faut que nous fassions cela ici. J’imagine que
ma présence ne sera pas indispensable, aussi ne viendrai-je pas te la
présenter. Je lui dirai l’endroit exact de la rencontre, et te l’enverrai
demain soir, à l’heure où nous nous retrouvons d’habitude.
— Audagei af Guth faúr, jah iggar ! prononça
Gudinand avec ferveur : « Bénis soyez-vous, tous les
deux ! »
Et c’est ainsi que « Juhiza » rencontra Gudinand.
20
Le lendemain soir, lorsque je me rendis auprès du bosquet à
l’heure prévue du crépuscule, j’avais bien sûr revêtu ma tenue féminine :
une robe, un foulard, quelques touches d’un maquillage réussi mais plutôt
discret sur mon visage, et un certain nombre des babioles que j’avais achetées
à Basilea. Sous mes vêtements j’avais serré le strophion à la base de ma
poitrine pour augmenter le volume de mes seins, et une bande ceinturait mes
hanches pour maintenir mon membre viril bien serré contre mon bas-ventre, le
rendant imperceptible. Je portais aussi mes sandales de femme : ces fines
cothurnes faisaient paraître « Juhiza » légèrement plus petite que
Thorn puisque, chaque fois que j’avais vu Gudinand, j’étais chaussé de mes
bottes en cuir de vache.
Un petit reste de ma conscience masculine continuait
d’insinuer dans ma tête que je ne faisais là rien d’autre que de me déguiser,
un peu comme lorsqu’à Vesontio, j’avais testé les réactions des prostituées du
bord du fleuve. Je n’étais donc finalement rien d’autre qu’une prostituée
moi-même, sollicitant les faveurs d’un jeune homme innocent pour satisfaire mes
bas instincts. Mais ma partie féminine repoussa fermement cette idée
embarrassante. Oui, je profitais de cette occasion de consommer une union avec
Gudinand, pour lequel au fil des derniers mois mon admiration, mon affection et
mon désir n’avaient cessé de s’affirmer chaque jour davantage. Et je ne voyais
pas en quoi cela pouvait être honteux. Après tout, n’étais-je pas la seule
femme ici-bas prête à faire cela pour lui, à le libérer de cette affliction
contraignante pour lui laisser la possibilité de mener enfin une vie
normale ? Pas avec moi, Juhiza, puisque je n’envisageais pas de rester ici
au-delà de l’été, mais avec quelque aimable amie qu’il se serait lui-même
choisie… Sans compter qu’il pourrait changer de travail, et abandonner enfin le
misérable emploi qu’il
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