Thorn le prédateur
parties
intimes. Si ce n’est… (et il leva l’index) si ce n’est une très légère sécrétion
de lymphe à la fois limpide et transparente. Ce qui, bien sûr, m’a aussitôt
fait penser à une nécrose, due à une thrombose ou une embolie sise ailleurs que
dans l’utérus. Niu ?
— Bien sûr.
— Mais même en palpant et en frappant doucement son
thorax et son abdomen, je n’ai pu déceler la moindre induration. Je me suis
donc contenté de prescrire des onctions calorifères, qu’elle peut se faire
elle-même, ou en charger ses servantes, et comme médicaments, un peu d’eau
ferrugineuse pour lui épaissir le sang et un laxatif pour obvier à une
éventuelle obstruction intestinale.
Tout cela ne m’en disait pas plus, mais interprétant
l’expression de son visage, je répliquai :
— Et vos remèdes n’ont pas amélioré sa santé ?
— Ne, admit-il, l’air mécontent. Comme elle
continuait de ne se plaindre de rien, et ne revenait pas me voir en
consultation, je me suis occupé de mes patients. Malheureusement, il s’est
écoulé plusieurs mois avant que je croise de nouveau Amalamena par hasard dans
la rue. J’ai été choqué de voir que sa pâleur et sa langueur ne s’étaient pas
dissipées, et j’ai alors insisté pour venir l’examiner dans ses appartements.
Cette fois, lorsque j’ai pratiqué ma palpation… Oh, vái, j’ai bel et
bien senti une induration dans son abdomen.
— Pourquoi dites-vous « malheureusement » et
« oh vái », lekeis ?
— Parce que… si je m’en étais rendu compte plus tôt…
(Il secoua la tête et soupira.) C’est un squirre infectieux, mais profondément
enfoui dans les tissus, c’est pourquoi il n’a entraîné ni enflure, ni
perforation des chairs. Une tumeur inerte, qui a pu se développer
tranquillement, sans lui occasionner de douleurs. D’après ce que j’ai pu
constater, elle n’est située ni dans l’utérus, ni dans les intestins, mais dans
le mésentère. Ce doit donc être un squirre de cette catégorie que nous autres
médecins détestons, à savoir un kreps. Mais je ne pourrai en être sûr
que lorsque je saurai si les veines qui l’entourent se sont développées suivant
la forme des pinces du crabe. Et cela, je ne pourrai le savoir avant d’avoir
sectionné l’abdomen de la princesse.
— Vous voulez lui découper le ventre ?
m’écriai-je, horrifié.
— Akh, certainement pas tant qu’elle vivra.
— Tant qu’elle vivra ?
Il lâcha, excédé :
— Pourquoi passez-vous votre temps à me faire répéter,
jeune homme, si vous ne comprenez rien à ce que je vous raconte ? La
princesse a un kreps, une tumeur maligne qui s’étend dans le mésentère.
« Le ver de la charogne », comme l’appellent certains. Il finira par
gagner les autres organes. Ce n’est pas qu’Amalamena soit malade, en somme.
Elle est mourante.
— Mourante ?
— Le mot n’est pas encore assez clair pour vous, niu ?
Akh, maréchal, vous allez mourir. Je vais mourir. La princesse, elle, va
mourir jeune. Je ne puis prédire le temps qui lui reste, mais prions pour qu’il
soit bref.
— Bref ?
— Iésus, grogna-t-il, levant les mains au ciel.
(Puisant dans ses derniers trésors de patience, il m’expliqua :) Si le liufs
Guth a pitié d’elle, elle mourra vite, sans souffrir, et son corps ne
portera pas les stigmates de la maladie. Si elle met plus longtemps à mourir,
la tumeur pourrait se frayer un chemin à l’extérieur des chairs, sous la forme
d’un épouvantable abcès béant et purulent. D’autre part, si ce kreps attrape
de ses pinces d’autres organes, son corps subira des boursouflures par
endroits, deviendra squelettique dans d’autres, ce sera hideux. Une mort aussi
longue entraînerait bien sûr d’indicibles souffrances, que je ne souhaite pas
au diable lui-même.
Je laissai filer moi aussi un « Iésus »,
puis demandai :
— Et il n’existe aucun traitement… ou acte de
chirurgie… ?
De nouveau, il secoua la tête d’un air impuissant, et
soupira.
— Ce n’est pas une blessure reçue au combat, que je
pourrais soigner de l’extérieur. Et la princesse n’est pas non plus une
souillon écervelée, encline à croire aux démons, et que je pourrais flouer en
lui donnant des amulettes. Un acte de chirurgie ne ferait que hâter la
progression de la tumeur. Akh, il m’arrive parfois de regretter le bon
vieux temps où un lekeis, lorsqu’il tombait sur un mal
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