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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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était plus égal, mais coupé de collines et de vallées. Plusieurs de ces collines présentent l'aspect le plus sauvage. C'est dans un de ces passages pittoresques que, nous étant retournés tout à coup pour contempler le spectacle imposant que nous laissions derrière nous, nous aperçûmes à notre grande surprise près de la croupe de nos chevaux un Indien qui semblait nous suivre pas à pas. C'était un homme de trente ans environ, grand et admirablement proportionné comme ils le sont presque tous. Ses cheveux noirs et luisants tombaient le long de ses épaules à l'exception de deux tresses qui étaient attachées sur le haut de la tête. Sa figure était barbouillée de noir et de rouge. Il était couvert d'une espèce de blouse bleue très courte. Il portait des mittas rouges : ce sont des espèces de pantalons qui ne vont que jusqu'au haut des cuisses, et ses pieds étaient garnis de mocassins.
    A son côté pendait un couteau. De la main droite il tenait une longue carabine et de la gauche deux oiseaux qu'il venait de tuer. La première vue de cet Indien fil sur nous une impression peu agréable. Le lieu était mal choisi pour résister à une attaque : à notre droite une forêt de pins s'élevait à une hauteur immense, à notre gauche s'étendait un ravin profond au fond duquel roulait parmi les rochers un ruisseau que l'obscurité du feuillage dérobait à notre vue et vers lequel nous descendions en aveugles ! Mettre la main sur nos fusils, nous retourner et nous placer dans le chemin en face de l'Indien fut l'affaire d'un moment. Il s'arrêta de même. Nous nous tînmes pendant une demi-minute en silence. Sa figure présentait tous les traits caractéristiques qui distinguent la race indienne de toutes les autres. Dans ses yeux parfaitement noirs brillait ce feu sauvage qui anime encore le regard du métis et ne se perd qu'à la deuxième ou troisième génération de sang blanc. Son nez était arqué par le milieu, légèrement écrasé par le bout, les pommettes de ses joues très élevées et sa bouche fortement fendue laissait voir deux rangées de dents étincelantes de blancheur qui témoignaient assez que le sauvage plus propre que son voisin l'Américain ne passait pas sa journée à mâcher des feuilles de tabac. J'ai dit qu'au moment où nous nous étions retournés en mettant la main sur nos armes, l'Indien s'était arrêté. Il subit l'examen rapide que nous fîmes de sa personne avec une impassibilité absolue, un regard ferme et immobile. Comme il vit que nous n'avions de notre côté aucun sentiment hostile, il se mit à sourire ; probablement il s'apercevait qu'il nous avait alarmés. C'est la première fois que je pus observer à quel point l'expression de la gaieté change complètement la physionomie de ces hommes sauva­ges.
    J'ai eu cent fois depuis l'occasion de faire la même remarque. Un Indien sérieux et un Indien qui sourit, ce sont deux hommes entièrement différents. Il règne dans l'immobilité du premier une majesté sauvage qui imprime un sentiment involontaire de terreur. Ce même homme vient-il à sourire, sa figure entière prend une expression de naïveté et de bienveillance qui lui donne un charme réel.

        Quand nous vîmes notre homme se dérider, nous lui adressâmes la parole en anglais. Il nous laissa parler tout à notre aise, puis fit signe qu'il ne comprenait point. Nous lui offrîmes un peu d'eau-de-vie qu'il accepta sans hésitation comme sans re­merciement. Parlant toujours par signes, nous lui demandâmes les oiseaux qu'il portait et il nous les donna moyennant une petite pièce de monnaie. Ayant ainsi fait connaissance nous le saluâmes de la main et partîmes au grand trot. Au bout d'un quart d'heure d'une marche rapide, m'étant retourné de nouveau, je fus confondu d'apercevoir encore l'Indien, derrière la croupe de mon cheval. Il courait avec l'agilité d'un animal sauvage, sans prononcer un seul mot ni paraître allonger son allure. Nous nous4 arrêtâmes, il s'arrêta. Nous repartîmes, il repartit. Nous nous lançâmes à toute course. Nos chevaux élevés dans le désert franchissaient avec facilité tous les obsta­cles. L'Indien doubla sa marche ; je l'apercevais tantôt à droite, tantôt à gauche de mon cheval, sautant par-dessus les buissons et retombant sur la terre sans bruit. On eût dit l'un de ces loups du nord de l'Europe qui suivent les cavaliers dans l'espérance qu'ils tomberont de leurs chevaux et pourront

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