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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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soin plusieurs numéros : ils font une opposition violente au gouvernement et même à tout ce qui est anglais. Le
Canadien
a pour épigraphe :
notre Religion, notre langue, nos lois. Il
est difficile d'être plus franc. Le contenu répond au titre. Tout ce qui peut enflammer les grandes et les petites passions populaires contre les Anglais est relevé avec soin dans ce journal. J'ai vu un article dans lequel on disait que le Canada ne serait jamais heureux jusqu'à ce qu'il eût une administration canadienne de naissance, de principe, d'idées, de préjugés même, et que si le Canada échappait à l'Angleterre, ce ne serait pas pour devenir anglais. Dans ce même journal se trouvaient des pièces de vers français assez jolis. On y rendait compte de distributions de prix où les élèves avaient joué
Athalie, Zaïre, la Mort de César.
En général le style de ce journal est commun, Mêlé
d'anglicismes et de tournures
étranges. Il ressemble beaucoup aux journaux publiés dans le canton de Vaud en Suisse. Je n'ai encore vu dans le Canada aucun homme de talent, ni lu une production qui en fit preuve. Celui qui doit remuer la population française, et la lever contre les Anglais n'est pas encore né.

        Les Anglais et les Français se fondent si peu que les seconds gardent exclusive­ment le nom de Canadiens, les autres continuant à s'appeler Anglais.
        ***

        
Visite à l'un des tribunaux civils de Québec.

        Nous entrâmes dans une salle spacieuse remplie de gradins sur lesquels se tenait une foule dont toutes les apparences étaient françaises. Au fond de la salle étaient peintes en grand les armes britanniques. Au-dessous de ce tableau était place le juge en robe et en rabat. Devant lui étaient rangés les avocats.

        Au moment où nous parvînmes dans cette salle, on plaidait une affaire de diffa­mation. Il s'agissait de faire condamner à l'amende un homme qui avait traité un autre de pendard et de crasseux. L'avocat plaidait en anglais. Pendard, disait-il en pronon­çant le mot avec un accent tout britannique, signifie un homme qui a été pendu. Non, reprenait gravement le juge, mais qui mérite de l'être. À cette parole l'avocat du défen­seur se levait avec indignation et plaidait sa cause en français, son adversaire lui répondait en anglais. On s'échauffait de part et d'autre dans les deux langues sans se comprendre sans doute parfaitement. L'Anglais s'efforçait de temps en temps d'expri­mer ses idées en français pour suivre de plus près son adversaire ; ainsi faisait aussi parfois celui-ci.
    Le juge s'efforçait tantôt en français, tantôt en anglais, de remettre l'ordre, Et l'huissier criait : - Silence ! en donnant alternativement à ce mot la prononciation anglaise et française. Le calme rétabli, on produisit des témoins. Les uns baisèrent le Christ d'argent qui couvrait la Bible et jurèrent en français de dire la vérité, les autres firent en anglais le même serment et baisèrent en leur qualité de protestants l'autre côté de la Bible qui était tout uni. On cita ensuite la coutume de Normandie, on s'appuya de Denisart, et on fit mention des arrêts du Parlement de Paris et des statuts du règne de George III. Après quoi le juge : Attendu que le mot
crasseux
emporte l'idée d'un homme sans moralité, sans conduite et sans honneur, condamne le défenseur à dix louis ou dix livres sterling d'amende.

        Les avocats que je vis là, et qu'on dit des meilleurs de Québec ne firent preuve de talent ni dans le fond des choses ni dans la manière de les dire. Ils manquent parti­culièrement de distinction, parlent français avec l'accent normand des classes moyen­nes. Leur style est vulgaire et mêlé
d'étrangetés
et de locutions anglaises. Ils disent qu'un homme est
chargé
de dix louis pour dire qu'on lui demande dix louis. - Entrez dans la boîte, crient-ils au témoin pour lui indiquer de se placer dans le banc où il doit déposer.

         

        
        L'ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d'incohérent, de burlesque même. Le fond de l'impression qu'il faisait naître était cependant triste. Je n'ai jamais été plus convaincu qu'en sortant de là que le plus grand et le plus irrémédiable mal­heur pour un peuple c'est d'être conquis.

        ***

        27 août 1831. Conversation avec Mr. Neilson. [Voir
Voyages
I, pp. 80-85. George Wilson Pierson qui s'est fait un critique sévère

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