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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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être enterré aux pieds de son maître Pouchkine, mais pensait qu'il ne le méritait pas. Il reçut une lettre de Tolstoï : « La nouvelle de votre maladie m'a beaucoup troublé, disait Tolstoï. Quand j'ai su qu'elle était grave, j'ai compris combien je vous aimais. J'ai senti que si vous mouriez avant moi, ce serait pour moi une grande douleur. » Tourguéniev griffonna une réponse au crayon: « Cher et bien-aimé Lev Nicolaïevitch. Je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, car j'étais malade et suis, pour parler franc, sur mon lit de mort. Je ne peux me remettre et il est inutile de penser à cela. Je vous écris seulement pour vous dire combien je suis heureux d'avoir été votre contemporain et pour vous adresser une dernière requête. Mon ami, revenez à votre travail littéraire. Ce don qui est le vôtre vient de la même source que tout le reste. Combien je serais heureux si je pensais que cette lettre pût avoir une influence sur vous... Je ne puis ni parler, ni manger, ni dormir. Cela me fatigue même de nommer ces choses. Mon ami, grand écrivain de la terre russe, entendez ma requête. Dites-moi si vous avez reçu cette lettre et permettez-moi de vous embrasser une dernière fois de très, très près, vous, votre femme et tous les vôtres. Je ne peux plus, je suis fatigué. »
    La charmante Savina, elle aussi, lui avait écrit. «Votre lettre, lui répondit-il, est tombée dans ma vie grise comme un pétale de rose dans un ruisseau trouble. —... Mon courage m'a quitté... Je n'essaie pas de voirdans l'avenir - et ne me permets plus de rêver de vous revoir... Très chère amie, je n'ose même plus penser au sens de vos paroles : "Rappelez-vous de temps en temps quelle peine j'ai eue en me séparant de vous à Paris - ce que j'ai alors ressenti!" — Je suis certain que si nos vies s'étaient rencontrées plus tôt... Mais à quoi bon? Comme mon Allemand Lemme dans Un nid de gentilshommes, je regarde dans mon cercueil et non dans un avenir rose. »
    Donc c'était fini. L'étrange rêve de la vie allait s'achever, par quel réveil plus étrange? A la fin d'un de ses romans il avait écrit : «Comment la vie a-t-elle passé si vite ? Comment la mort se trouve-t-elle si près ? La mort est semblable au pêcheur qui a pris un poisson dans son filet, et qui le laisse encore pour un moment dans l'eau : le poisson continue à nager, mais le filet l'entoure, et le pêcheur s'en saisira, — quand il voudra. »
    Pendant sa maladie, il écrivit ses derniers poèmes en prose : « Ce ciel bleu, ces nuages, légers flocons, le parfum de ces fleurs, le timbre d'une douce et jeune voix, la rayonnante beauté des chefs-d'œuvre de l'Art, un sourire de bonheur sur un charmant visage de femme, et ces yeux enchanteurs... à quoi bon, à quoi bon tout cela ? »
    « Une cuillerée d'un médicament répugnant et inutile, toutes les deux heures, voilà, voilà ce qu'il me faut 5 . »
    Quinze jours avant sa fin, il appela M me Viardot près de son lit et avec des larmes dans les yeux lui demanda d'écrire sous sa dictée : « Je voudrais écrire une histoire que j'ai dans la tête. Cela me fatiguerait trop. Je ne pourrais pas. »
    « Dictez-la-moi, dit-elle. Je n'écris pas vite en russe,mais je crois que si vous êtes patient, je pourrai y arriver. - Non, non, dit-il. Si je dicte en russe, je m'arrêterai à chaque mot, à chaque phrase, pour choisir mon expression et je ne me sens pas capable d'un tel effort. Non, ce que je voudrais faire est de vous dicter l'histoire dans toutes les langues que nous savons, vous et moi, en me servant des expressions qui me viendront le plus facilement 6 . »
    Le travail fut fait de cette façon. L'histoire était celle d'un noble Russe dégénéré. Elle s'appelait : Une fin.
    Le géant était devenu d'une incroyable maigreur. « Comment pourrait-on vivre, disait-il, avec des jambes de sauterelle ? » Il s'était demandé, dans un de ses poèmes en prose : « A quoi penserai-je au moment de la mort ? » Mais il mourut dans un rêve. « Regardez, disait-il, comme c'est étrange, ma jambe est suspendue là-bas, dans le coin. La chambre est pleine de cercueils. » Bien qu'il ne fût entouré en ce moment que de Français, il parlait russe et récitait des vers que peut-être Babourine lui avait dits jadis, au bord de l'étang couvert de roseaux... Peut-être aussi croyait-il sentir ces odeurs de sarrasin et de seigle fauchés qu'il avait tant aimées dans son enfance.
    Pendant les

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