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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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plus longues histoires de Russie, ce qu'était la Russie en 1830.
    D'ailleurs, si les types de Tourguéniev appartiennent en effet à un assez petit nombre d'espèces, à l'intérieur de ces espèces les variétés sont innombrables et bien définies. Dans chaque roman de Tourguéniev vous trouvez, nous dit-on, la femme fantasque et le Hamlet russe. Oui, mais ces différents Hamlet ne se ressemblent guère. Bazarov n'est pas du tout le même homme que Roudine. Bazarov est aussi silencieux que Roudine est bavard. Il est sauvage, désespéré. Il est capable d'aimer, ce que l'autre n'est pas. Le sombre Lavretsky du Nid de gentilshommes est encore un Hamlet, mais plus simple, plus naïf. Nejdanov, dans Terres vierges, est un Hamlet compliqué de Julien Sorel, mais un Julien de naissance aristocratique, ce qui en fait un personnage nouveau. J'en dirai autant des paysans des Récits d'un chasseur. Ils ont des points communs, ils doivent en avoir, mais leurs caractères sont bien tranchés. Peut-être peut-on, avec plus de justice, reprocher à Tourguéniev la monotonie de ses portraits de femmes, mais on pourrait la reprocher aussi à d'autres grands romanciers. Presque tous les hommes sont obsédés par un type de femme et ne peuvent guère s'empêcher de le poursuivre.Souvent ils n'écrivent que pour le peindre. Quand nous disons : « Une femme de Racine, » nous évoquons un type assez général pour qu'il puisse contenir à la fois Roxane, Esther et Phèdre, mais en même temps un type défini. Est-ce un grief contre Racine? Comme tout grand artiste, Racine et Tourguéniev ont choisi, parmi l'immense variété des êtres, ceux qui étaient assimilables pour leur art. C'est la démarche la plus naturelle et aussi la plus légitime.
    ***
    Autre grief : Tourguéniev n'est pas un génie créateur.
    Il faudrait s'entendre sur le sens du mot : créateur. Un romancier doit-il tirer ses personnages d'un inconcevable néant ou doit-il plus simplement essayer de peindre la nature en l'observant? Je montrerai tout à l'heure pourquoi la question me paraît ainsi mal posée, mais nous savons ce qu'eût été la réponse de Tourguéniev lui-même. Il s'est toujours vanté d'être un homme sans imagination : « Je n'ai jamais pu rien créer, dit-il, qui vînt seulement de mon imagination. Il me faut pour faire un personnage un homme vivant. »
    Nous pouvons aujourd'hui, grâce à M. Mazon qui a publié une remarquable analyse des papiers, brouillons et plans laissés par Tourguéniev à Paris, étudier le mécanisme par lequel Tourguéniev absorbait et employait les êtres vivants. Dans ces papiers on le saisit en plein travail. Quand il commençait un roman, il dressait d'abord une liste de personnages. Souvent le nom réel du modèle y est indiqué à côté de celui du héros de roman. Ainsi dans celle de Premier amour on lit :
    Moi, petit garçon de treize ans.
    Mon père, trente-huit ans.
    Ma mère, trente-six ans.

    Puis il a corrigé : moi - petit garçon de quinze ans, ayant sans doute pensé que sa propre précocité sentimentale paraîtrait peu vraisemblable. Dans la liste de personnages de A la veille, Karataïev, source du livre, est indiqué par son nom ainsi que le Bulgare Katranov.
    Après cette liste Tourguéniev rédige des notices biographiques sur ses personnages. On y trouve leur description physique, leurs antécédents, par exemple : « Epilepsie dans la famille ; une cousine de la mère était folle, » puis des jugements moraux : « Sensuelle avec quelque timidité... Bon et honnête sans que cela lui coûte... Accessible au mysticisme religieux. » Souvent dans ces notices des traits sont empruntés à plusieurs personnages réels qui y sont nommés : « L'expression du visage est celle de feu Savine et de Verokine l'aliéné » - « Golouchkine veut passer pour un progressiste dans le genre du soldat Tankov. »
    Tous ceux qui ont étudié les procédés de travail des romanciers savent que Tourguéniev en cela ressemble aux plus grands. Balzac parle volontiers de ce « vivier » où lui aussi puisait pour alimenter ses œuvres. Nous connaissons quelques-uns des modèles de Tolstoï. Le Docteur Proust publiera peut-être quelque jour les carnets de Marcel Proust où l'on voit se former à l'aide de notes les personnages de son œuvre et où, comme dans les notices de Tourguéniev, ils portent encore leurs noms véritables. La création artistique n'est pas une création ex nihilo. C'est un regroupement des

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