Toute l’histoire du monde
l’anachronisme) qui ne craignaient ni Dieu ni Diable et qui savaient exploiter l’imprévu.
Ainsi la modernité peut-elle tuer. Entre les Espagnols de Pizarre et les Incas d’Atahualpa, on peut dire qu’il y avait six millénaires de décalage. Ne craignons pas l’anachronisme pédagogique : nous l’avons souligné, l’empire inca évoque celui des pharaons. Eh bien ! si les Espagnols de la Renaissance avaient pu débarquer en Égypte au temps de Ramsès II, nous croyons que le choc aurait été comparable et que les Castillans auraient détruit l’Égypte des pharaons.
Les Espagnols furent certes cruels (quand ils combattaient les Français, ils ne l’étaient pas moins), mais ils n’étaient pas racistes. Les conquistadores épousèrent souvent des princesses indiennes. Si bien qu’aujourd’hui tous les « grands d’Espagne » ont du sang indien dans les veines. Les Espagnols étaient des « Martiens ». Les immenses civilisations amérindiennes disparurent comme par « enchantement » (ici, il faudrait plutôt parler de « maléfice »).
La modernité a tué les civilisations précolombiennes, mais les populations amérindiennes existent toujours. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, les Indiens sont encore des millions (la majorité au Pérou et en Bolivie). Mais de leur passé glorieux ne restent que des langues locales (l’aymara et le quechua) et des superstitions populaires. Ils sont devenus catholiques et hispaniques ; ils parlent espagnol.
La catastrophe fut aggravée par ce que les médecins appellent le « choc microbien » (ou viral). Dans leur isolât, les populations d’Amérique ne s’étaient pas immunisées contre les microbes d’Eurasie. La rougeole et la grippe, auxquelles résistaient les Espagnols, eurent le même effet dévastateur sur les Indiens que la Grande Peste du XIV e siècle avait eu sur les Européens. Ils moururent par millions ; surtout les dignitaires, davantage en contact avec les envahisseurs. On sous-estime toujours le rôle historique des épidémies.
La conquête de l’Amérique fut ainsi une terrible tragédie – à l’insu des Espagnols eux-mêmes, qui comprenaient mal ce qui arrivait. Certains Espagnols se prirent d’ailleurs de sympathie pour leurs nouveaux sujets, tel le dominicain Bartolomé de Las Casas, qui écrivit au roi d’Espagne une Très Brève Relation de la destruction des Indes en 1542 – mais en vain.
Les Espagnols n’étaient évidemment pas meilleurs que les Indiens. On peut même penser que, du point de vue moral, les Incas étaient plus sympathiques. Mais les Espagnols étaient modernes. Les valeurs de la modernité – initiative individuelle, esprit critique, goût du changement – ont assuré au XV e siècle la victoire des Européens sur les autres peuples de la Terre. Ces valeurs sont-elles suffisantes pour donner un sens à la vie ? Sans doute pas.
Ce sont des valeurs d’action. Seules les religions ou les sagesses permettent de vivre. D’ailleurs, si les Espagnols agissaient « moderne », ils utilisaient, pour donner un sens à leur vie, les valeurs spirituelles du christianisme -en quelque sorte, leur « capital moral ». Au xxi c siècle, on peut penser que le monde moderne a dilapidé ce capital-là, gardant pour unique référence le bon plaisir individuel. Mais ceci est « une autre histoire », dont nous reparlerons.
La Renaissance, Charles Quint, François I er
Pendant que les Espagnols faisaient la conquête du Nouveau Monde, l’ancien monde explosait sur lui-même.
L’Italie fut l’épicentre de ce séisme culturel que l’on nomme la « Renaissance ». Nous avons souligné le rôle des intellectuels grecs exilés de Byzance – « Renaissance » parce que, par eux, les contemporains redécouvrirent en direct l’Antiquité.
L’Italie inventa tout : la finance moderne, la science moderne, l’art moderne et la vision moderne du monde.
Bien sûr, elle jouait encore un rôle politique et militaire (une grande partie du vocabulaire militaire est italien). Venise, en particulier, tint tête en 1509 à l’Europe entière coalisée contre elle (ligue de Cambrai) et sut anéantir, alliée à l’Espagne, la flotte turque d’Ali Pacha à Lépante, en 1571 : deux cents galères turques furent coulées au prix de la mort de centaines de patriciens vénitiens.
Mais le rôle décisif des cités italiennes a été culturel.
Florence était gouvernée par une riche
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