Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
entretenir les camions que les S.S. utilisaient non seulement pour les travaux du camp, mais aussi pour les transports des vivants et des morts du crématoire. Le commando de la construction posait les poteaux en ciment des clôtures du camp, équipées par les monteurs de fil de fer barbelé. Le commando des électriciens était chargé de mettre sous courant à haute tension les barbelés dont le réseau devenait de jour en jour plus serré. Ceux qui l’avaient posé en étaient parfois les premières victimes. Les menuisiers du commando DAW [4] avaient, en plus de travaux divers pour les Waffen S.S., construit le portail en bois de la cour du crématoire, et la porte massive qui fermait hermétiquement la chambre à gaz. Les plombiers avaient posé une conduite d’eau dans les locaux des fours du crématoire et ils en assuraient l’entretien en permanence. Le commando des maçons avait remplacé l’ancienne cheminée du crématoire, détruite par l’incendie, par une nouvelle plus solide, de section carrée. Un commando transportait dans des charrettes tirées par des chevaux le coke et le bois nécessaires à l’incinération des morts, ainsi que les vêtements et les objets personnels des détenus gazés.
Mais les prisonniers n’étaient pas seulement soumis aux dures épreuves du travail physique. Dans ce chaudron de sorcière d’Auschwitz, où les hommes mouraient comme des mouches, les déportés étaient de surcroît manipulés et conditionnés par les nazis qui les contraignaient à collaborer à leur entreprise de mort qu’ils essayaient de garder secrète.
La fusion de notre équipe avec celle des chauffeurs nous avait sortis de notre triste isolement, et notre moral était meilleur. Mais un autre danger nous menaçait. Ce danger ne venait pas des S.S. mais d’un homme de notre propre commando, le Polonais Mietek Morawa, un jeune homme blond et robuste. Il avait été déporté à Auschwitz à l’âge de vingt ans, au cours de l’automne 1940. Il portait le numéro d’immatriculation 5730, tatoué sur sa poitrine, et, sur sa veste, l’insigne rouge des détenus politiques. Dans l’ambiance de cruauté et de violence qui nous entourait, le jeune Mietek faisait figure de modèle. Mais il réservait ses agressions aux détenus de race juive. Son comportement sadique s’expliquait peut-être par la fréquentation assidue des S.S. qui lui avaient communiqué leur haine des juifs, qu’ils rendaient responsables de toutes les atrocités qui se commettaient dans le camp de concentration comme partout ailleurs, et principalement de la guerre. C’est du moins ce que les nazis affirmaient à cor et à cri dans leur propagande pour justifier les malheurs que les hommes devaient supporter. Quoi qu’il en soit, ce chef de commando du crématoire était devenu un dangereux meurtrier pour les autres détenus. Servant les bourreaux nazis avec fidélité et dévouement, il était devenu le favori des hommes de la Gestapo, Grabner et Quackernack. Il se montrait de plus en plus brutal et arrogant. Dès les premiers jours de la fusion de l’équipe Fischl avec celle du crématoire, un incident sérieux opposa notre chef de commando au Polonais. Chacun d’eux prétendait commander le groupe. Morawa était l’homme de confiance de la section politique de la Gestapo et il était soutenu par les Polonais Josef Ilczuk et Waclaw Lipka, qui travaillaient avec lui au crématoire. De son côté, Fischl était le protégé du chef de camp Aumeier. Trois autres chauffeurs juifs de l’équipe Morawa s’étaient joints à nous cinq pour soutenir Fischl. Ces derniers nous donnèrent des détails sur la manière dure et brutale dont Morawa les traitait. Il avait déjà à son actif la mort de nombreux détenus.
Après la fusion des deux commandos, Mietek Morawa tenta de tuer l’un de nous, mais Fischl lui tint tête et s’y opposa. C’est ainsi que durant l’été de 1942, il y avait en fait deux chefs d’équipe au crématoire : le chef attitré, Mietek Morawa, et Fischl, qui avait acquis une autorité notoire grâce à sa force corporelle et à son intrépidité. Tandis que d’innocentes victimes rendaient l’âme dans la chambre à gaz, les deux chefs de commando se disputaient la direction de notre groupe. Morawa se comportait comme une véritable brute, et le temps que j’ai passé sous ses ordres constitue l’une des plus pénibles périodes de ma vie.
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Fischl mourut du typhus
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