Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
exanthémateux à la fin de l’été 1942. Avant sa détention à Auschwitz, sa vie avait déjà comporté bon nombre d’événements tragiques, mais il avait toujours su s’adapter aux circonstances. Son expérience l’avait affermi et il avait appris, alors qu’il n’avait que vingt-trois ans, à se tirer d’affaire dans les situations les plus cruelles et les plus dangereuses. Peu de temps après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, son père avait été abattu par les nazis devant sa boutique de boucher. Peu après sa mère était morte de chagrin. Le jeune orphelin avait été arrêté et jeté en prison quelque temps plus tard, soi-disant pour marché noir de viande et il avait été déporté à Auschwitz, sans qu’il y ait jamais eu de procédure d’enquête ni de jugement. Il venait de prendre son service au crématoire lorsque j’arrivai au camp. Le chef de bloc Aumeier l’avait choisi lorsqu’il recherchait « des hommes solides pour un bon travail ». Sans hésiter, Fischl s’était porté volontaire. Lorsque, pénétrant dans la cour du crématoire, il vit l’amas des cadavres dans le local d’incinération, il avait eu un haut-le-corps, comme moi-même. Mais il savait par expérience qu’une protestation auprès des S.S. était inévitablement sanctionnée par un arrêt de mort. En prison, il avait appris à connaître leur mentalité, ainsi que le moyen de s’y adapter et de gagner leur confiance. Dès les premiers jours, il ne marqua aucune hésitation, ne témoigna par aucun signe de peur ou de désarroi que le travail dont on le chargeait lui répugnait. Il réagissait rapidement aux ordres des S.S., il les exécutait sur-le-champ et sans hésiter, comme si les opérations du crématoire faisaient partie de sa vie quotidienne habituelle. Il montrait des aptitudes remarquables pour le travail d’incinération des cadavres, et par son zèle, Fischl acquit dès le début, non seulement la sympathie, mais aussi la bienveillance du tout-puissant Aumeier. Il jouait en la circonstance un double jeu très dangereux qu’il maîtrisait comme un virtuose. Ainsi savait-il donner le change au chef d’équipe, à la dureté irrémissible, sans cependant jamais compromettre la santé, et encore moins la vie de ses compagnons du camp. Fischl n’était pas un ange, mais ce n’était pas non plus un assassin, et après sa mort, aucun d’entre nous ne parvint à faire preuve d’une autorité comme la sienne ni à neutraliser la brutalité du comportement de Mietek Morawa. À la mort de Fischl, Mietek s’abandonna à ses instincts brutaux. Ainsi, un jour, la bicyclette que nous devions nettoyer sous sa surveillance pour les S.S. de la section politique ne lui parut pas suffisamment nette, et il entra dans une violente colère. Une autre fois, ayant remarqué sur les pavés de la cour du crématoire une trace de sang à peine visible, il devint fou de rage. Lorsque les détenus n’avaient plus de corps à incinérer, Morawa ne leur laissait aucun répit. Il les pourchassait de tous les côtés et il inventait toutes sortes de motifs de chicane. Il nous fallait nettoyer, polir et fourbir sans arrêt sous sa surveillance méticuleuse. Il avait une préférence pour les angles et les recoins du local d’incinération, et si, par malheur, il relevait du bout du doigt la moindre trace de poussière ou de saleté sur les armatures en fonte des fours, il se déchaînait. Après un flot de jurons orduriers et d’injures antisémites, il se faisait présenter « le coupable ». Maurice était alors chargé de lui apporter un tabouret. Mietek ordonnait au fautif d’y monter. Le malheureux recevait alors sur son derrière à nu une volée de coups de bâton, le plus souvent vingt-cinq coups. Les « délinquants » devaient supporter les premiers coups sans broncher, ce qui était le plus dur pour la plupart d’entre eux. Ceux qui avaient déjà l’expérience de cette punition serraient les dents sans se plaindre, car ils savaient que la violence du chef d’équipe finirait par se calmer à la longue. En effet, le détenu qui encaissait les coups stoïquement s’entendait dire par Morawa, en polonais : « Fils de cochon, tu ne recevras que quinze coups puisque tu as su te tenir tranquille assez longtemps. » En revanche, malheur à ceux qui hurlaient dès le début de la séance en se tortillant, sautaient du tabouret ou se jetaient à genoux devant Mietek en implorant sa
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