Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
continuaient à envoyer à Auschwitz des contingents toujours plus nombreux de juifs venant de tous les pays d’Europe.
Au mois de février 1944, on procéda à une « sélection » dans le commando spécial. Un soir, L’Obersturmführer Schwarzhuber et le chef de rapports Polotschek, accompagnés de quelques S.S. de la section politique, qui assistaient à l’appel dans la cour du bloc 13, firent sortir des rangs 200 détenus environ, en leur annonçant qu’ils allaient être transférés à Lublin où l’on avait besoin d’hommes robustes pour des travaux spéciaux. La plupart d’entre eux avaient travaillé dans un commando chargé, sous la direction de Hössler, de faire disparaître les traces des charniers à proximité des bunkers I et II. Ces travaux terminés, leur présence était désormais inutile.
Quelques mois plus tard, en avril 1944, nous apprîmes le sort qui leur avait été réservé. Dix-neuf prisonniers de guerre russes venaient en effet d’arriver à Birkenau avec leur kapo, un Allemand nommé Karl Konvœnt, en provenance du camp de Lublin où ils travaillaient dans le commando spécial, et où leur évacuation avait été décidée en raison de l’avance menaçante de l’armée Rouge.
Avant même que nous eussions pu nous entretenir avec l’un d’eux, nous comprîmes ce qui était arrivé à nos camarades, car plusieurs prisonniers politiques portaient une partie de l’équipement leur ayant appartenu. Aucun doute n’était possible. C’étaient bien leurs blousons bleus et leurs bottes taillées sur mesure ! Atterrés, nous en eûmes bientôt la confirmation formelle de la bouche même de quelques Russes qui avaient pu entrer en contact avec eux dans le vestiaire avant leur extermination dans la chambre à gaz.
Cette horrible « sélection » de février 1944 ne nous laissait guère d’illusions sur notre avenir et nous redoutions fort d’avoir bientôt à subir le même sort sous la pression de l’avance des Russes. La progression rapide de l’armée Rouge éveillait beaucoup d’espoirs dans le camp, mais, au commando spécial, nul d’entre nous ne croyait sérieusement à notre libération. Qui donc en effet pouvait croire que les auteurs des massacres collectifs dont nous étions les témoins quotidiens laisseraient vivant un seul d’entre nous, si les Alliés réussissaient à mettre un terme à leur domination ? Seul un soulèvement général pouvait encore nous sauver. Cette perspective ne devait plus maintenant être différée mais comment la réaliser ? Trois grenades à main provenant de l’ancien crématoire d’Auschwitz, quelques revolvers parabellums et pistolets de 6,35 avec leurs munitions acquis par l’intermédiaire des entreprises de récupération de matériels de guerre étaient notre seul actif.
En dépit de ces faibles moyens il me parut alors vital de convaincre d’urgence un grand nombre de détenus de la nécessité de nous soulever et de les amener à participer à cette action. Ce n’était pas chose aisée, car la plupart ne se sentaient pas directement menacés, et la perspective de survivre, qui en fait diminuait chaque jour, leur paraissait de plus en plus assurée. Mais pour nous, les détenus du commando spécial, la situation était bien différente.
Le mouvement de résistance du camp comprenait d’ailleurs très bien notre insistance à entreprendre un soulèvement général, mais il estimait que le moment n’était pas encore venu. On nous conseillait de patienter jusqu’à ce que le temps fût meilleur et le front plus rapproché. Les nombreux partisans qui se cachaient dans la région pourraient alors nous soutenir efficacement. Mais il convenait au préalable de nous entendre avec eux. Malgré cet ajournement, le plan de résistance continua à être activement discuté entre nous, au commando spécial, et mis au point. La direction du mouvement fut confiée à des camarades qui avaient déjà l’expérience de l’action subversive, notamment Kaminski, Handelsmann, Juki, Wrobel, Warsawski, Wladek, Gradowski, Errera et quelques autres. Tous tombèrent d’accord sur le principe de ne faire participer à la tentative que des hommes robustes et courageux. À la réflexion cependant, il nous parut ensuite plus avantageux de nous assurer également la collaboration de nombreux autres camarades en fixant à chacun une tâche bien déterminée. Aucun de nous ne se faisait pourtant beaucoup d’illusions : ceux
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